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19 juillet 2010 1 19 /07 /juillet /2010 20:16

Attention aux références aux années 1930 !

19.07.10 | 13h20  •  Mis à jour le 19.07.10 | 15h01

 

Les accusations portées par le site indépendant d'information Mediapart contre le président de la République, qui aurait, avant son élection, bénéficié directement ou indirectement d'un financement illégal de sa campagne alors même que celle-ci était strictement encadrée par les lois sur le financement de la vie politique, sont très graves.

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Défilé de membres de "solidarité française", 1934.

 Source: L'histoire par l'image. Photographie commentée.

 

Elles doivent être parfaitement motivées. L'activité de la presse découle, elle aussi, de la loi, celle du 29 juillet 1881, emblématique de la démocratisation de la France au début de la IIIe République, et toujours en vigueur. Modifiée et complétée à plusieurs reprises (par exemple, en 1990, par la loi Gayssot qui introduisit l'article 24 bis), elle affirme conjointement la liberté et les responsabilités des périodiques. En soumettant les délits de presse au droit pénal, elle définit le pouvoir de la presse autant que ses contre-pouvoirs.

Un journal (et un journaliste) peut être condamné pour diffamation, les preuves d'une manipulation peuvent être établies par la justice, les contre-enquêtes indépendantes sont possibles. Pour cette raison, il nous paraît très dangereux d'instruire le procès de la presse en dehors du cadre judiciaire, et particulièrement de la manière dont cela a été fait par les proches du président de la République. A savoir qualifier les enquêtes de Mediapart de "méthodes fascistes" (Xavier Bertrand, Nadine Morano), de "méthodes collaborationnistes" (Eric Raoult), et dénoncer "une certaine presse des années 1930" (Christian Estrosi), "certains médias aux relents d'extrême droite et de trotskisme mêlés" (Eric Raoult).

Il est possible que l'indignation de voir Nicolas Sarkozy subir de pareilles accusations, de surcroît reprises par des médias nationaux et même internationaux, ait expliqué la nature de ces ripostes qui convoquaient les heures sombres de la France contemporaine pour mieux innocenter le président de la République et son ministre du travail. Mais elles ne se justifient pas pour autant. Outre que la thèse du complot et de la calomnie n'est pas la plus efficace en termes de production de la vérité et de conviction collective, puisqu'en l'invoquant elle nourrit à son tour le soupçon de la dissimulation et le refus de l'explication, la violence qu'elle induit pose problème à la démocratie républicaine tout entière.

En effet, les porte-parole de la majorité gouvernementale qui mobilisent les enseignements de l'histoire pour juger de cette presse d'opposition témoignent d'une triple méconnaissance. La méconnaissance est celle, d'abord, du sens des références historiques utilisées. Les "méthodes fascistes" sont bien autre chose que les articles de Mediapart ; elles se placent davantage dans l'ordre de l'élimination physique des personnes comme lorsque la Cagoule, sur ordre de Mussolini, assassina, en 1937, en forêt de Bagnoles-de-l'Orne, les intellectuels antifascistes italiens Carlo et Nello Rosselli.

 

LA DÉGRADATION DE LA VIE PUBLIQUE QU'ATTESTE L'OFFENSIVE CONTRE LA PRESSE EST TRÈS PRÉOCCUPANTE

La presse d'extrême droite ou d'extrême gauche de cette époque menait parfois des enquêtes à charge. Mais l'essentiel de son activité consistait dans l'injure, antisémite pour l'une, de classe pour l'autre. Parce que, précisément, ces extrémités eurent lieu en France et déclenchèrent des phénomènes de tyrannie, la société n'y adhère plus aujourd'hui. En brandir sans réserve la menace, c'est courir le risque de se tromper aux yeux de l'opinion publique.

Il y a une autre méconnaissance en ce qui concerne la tradition républicaine en matière de liberté, et de liberté de la presse. La loi qui la régit datant de 1881, il serait bon de revenir vers les débats qui l'ont précédée et qui, d'une certaine manière, demeurent d'actualité puisque la législation, même modifiée, reste valable.

Que disait Georges Clemenceau aux républicains inquiets de la puissance maintenue de la réaction monarchiste et soucieux de protéger le jeune régime en instituant un délit d'"outrage à la République" ? : "La République vit de liberté ; elle pourrait mourir de répression (...) comme tous les gouvernements qui l'ont précédée et qui ont compté sur le système répressif pour les protéger (1er février 1881)."

Enfin la méconnaissance touche le cadre universel auquel appartient la République et qui fait que la France ne peut pas se penser indéfiniment comme une exception. Dans les grandes démocraties du monde, les conflits majeurs entre des pouvoirs nécessaires aux libertés publiques comme à la stabilité institutionnelle se résolvent par la voie judiciaire dotée d'une pleine indépendance.

Aux États-Unis, la défense de la liberté de la presse est une prérogative de la Cour suprême, en vertu de la Constitution et de son premier amendement. Les juges ont rendu des arrêts déterminants en la matière, en 1964, 1971, 2001. La loi de 1881 relève de cet esprit de justice. Il s'agit de le retrouver et de la retrouver. Mais l'affaiblissement du pouvoir judiciaire depuis trois ans entrave cette possibilité salutaire pour la démocratie.

Voici donc ce qu'un historien peut écrire sur les événements récents. La dégradation de la vie publique qu'atteste l'offensive contre la presse est très préoccupante. Elle témoigne de la fragilité globale des médias d'information, de la défiance pour la justice, du désarroi de nombreux Français assistant au recul des valeurs démocratiques – dont on trouve une trace au plus profond de l'histoire de la République, au profit de la domination des lois de l'argent et du pouvoir.

Les dérives de la presse existent, parce que l'éthique de l'information est en concurrence permanente avec les intérêts politiques, idéologiques, financiers. Mais réduire sa liberté, c'est courir le risque de s'interdire de les montrer. Et de limiter en définitive la République vécue, partagée. C'est-à-dire le lien civique dans la société.

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