Les flux migratoires ralentissent fortement sous l’effet de la crise
Le Monde.fr | 12.07.10 | 14h45
L'immigration a ralenti à peu près partout dans le monde sous l'effet de la crise. Selon l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), qui présentait lundi 12 juillet son rapport sur les Perspectives des migrations internationales 2010, les entrées de migrants "permanents" – ceux qui bénéficient d'un permis de séjour renouvelable – ont chuté de 7 % en 2008, à 4,18 millions de personnes. Parallèlement, les migrations temporaires – permis de séjour non renouvelables – ont fléchi de 4 %, à 2,31 millions de personnes.
En revanche, l'immigration familiale a progressé de 3 % tout comme celle à caractère humanitaire (+14 % pour les demandeurs d'asile). Ces baisses enregistrées en 2008 sont d'ores et déjà confirmées par les premières tendances notées par l'OCDE pour 2009. Surtout, elles interviennent après cinq ans de hausse continue (11 % depuis 2003).
Ce fléchissement se concentre sur les flux migratoires liés au travail. Il s'explique soit par une chute brutale des demandes des employeurs, comme aux Etats-Unis, soit par l'adoption de politiques restrictives : l'Espagne a ainsi réduit la liste des professions en pénurie tandis que la Corée du Sud a diminué le "quota d'étrangers".
BAISSE DES MIGRATIONS LIÉES AU TRAVAIL
Dans les espaces de libre circulation, comme l'Union européenne, les baisses sont à la fois plus amples mais mieux régulées : un immigrant hésitera moins à renoncer à son projet ou à rentrer au pays, car il sait qu'il pourra partir ou repartir plus aisément. En matière d'immigration permanente, dont 20 % sont des migrations liées au travail, les plus fortes baisses se concentrent en Espagne (–43 %), en République tchèque (–27 %), en Italie (–26 %) et en Irlande (–24 %). A l'opposé, nombre de pays sont restés, en 2008, sur leur lancée, maintenant des flux d'entrée élevés, car touchés plus tardivement par la crise, comme au Portugal (+54 %).
Les variations des grands pays d'immigration européens sont plus faibles : –5 % au Royaume-Uni et –2 % en Allemagne et +4 % en France. Au sein de l'Union, le cas de la Suède est atypique : en dépit de la crise, Stockholm a maintenu une forte politique d'ouverture de ses frontières : les demandes de permis de travail y ont progressé de 30 % de 2008 à 2009, et 85 % d'entre elles ont bénéficié d'un avis favorable. Le territoire américain, lui non plus, n'a pas fermé ses frontières : les Etats-Unis ont accueilli 5 % d'immigrés de plus de 2007 à 2008 et le Canada +4 %.
Certaines de ces baisses ou de ces hausses doivent être, cependant, relativisées, indique l'OCDE. Dans plusieurs pays, les chiffres sont un peu biaisés. En Italie, les statistiques ont, par exemple, progressé lors de l'intégration des Roumains et des Bulgares entrés clandestinement dans le pays. Mais elles ont diminué d'autant pour cause d'adhésion des deux pays à l'UE, en 2007.
LES MIGRANTS PLUS RAPIDEMMENT TOUCHÉS PAR LE CHÔMAGE
Au Portugal, la forte hausse du nombre de migrants enregistrée est liée à "la
conséquence d'un programme spécial permettant aux Brésiliens arrivés dans le pays depuis plusieurs années de régulariser leur situation et donc d'être pris en compte dans les statistiques",
note le rapport.
Le classement des Etats est un peu bouleversé si l'on se réfère aux migrations temporaires (dont les travailleurs saisonniers), qui représentent la mesure la plus indiscutable des demandes en
main-d'œuvre. Les Pays-Bas, qui enregistrent un effondrement des entrées de travailleurs temporaires (–67 %), mais aussi l'Italie (–39 %), la France (–25 %) et le Royaume-Uni (–18 %) figurent en
tête. Aux Etats-Unis, selon l'OCDE, "le nombre de demandes de travailleurs temporaires s'est aussi effondré", passant de 729 000 demandes en 2007 à 479 000 en 2009. En Australie, les
demandes des employeurs pour des travailleurs temporaires qualifiés ont fondu en 2009 de 60% par rapport à 2008. En Espagne, le programme d'emploi des travailleurs saisonniers a enregistré une
baisse encore plus spectaculaire : les demandes qui étaient au nombre de 41 300 en 2008 sont tombées à 3 600 en 2009.
En période de récession, la main-d'œuvre étrangère joue un rôle d'amortisseur sur le marché de l'emploi et cette crise ne faillit pas à la règle. De 2008 à 2009, le taux de chômage des migrants s'est accru dans tous les pays de l'OCDE, qui déplorent "l'impact disproportionné de la crise économique sur l'emploi des immigrés".
Les femmes s'en sortent mieux que les hommes, notamment parce qu'elles occupent un emploi dans le secteur social, moins sensible à la crise. Mais "dans tous les cas – à l'exception du Royaume-Uni –, la hausse du chômage est plus rapide que pour les autochtones", insiste le rapport.
Brigitte Perucca
L’argent des migrants pour aider le Sud ?
Par Ludovic Lamant
Article publié sur Mediapart le dimanche 11 juillet 2010
Pas moins de trois ministères sont sur le coup. Bercy, l’immigration et les affaires étrangères ont présenté, jeudi 8 juillet, la nouvelle version d’un site internet, Envoi d’argent, censé faciliter les transferts d’argent des migrants installés en France, vers leurs familles restées au pays. Si l’intérêt de l’exécutif est si vif, c’est que le marché est massif, et, malgré la crise, très prometteur. Huit milliards d’euros ont ainsi été envoyés en 2009 depuis la France, par des migrants à leurs familles aux quatre coins de la planète. Un flux en progression de 10% par an depuis 2002, à peine freiné par la crise en cours. Au Sénégal ou au Mali, l’envoi d’argent des seuls migrants de France représente 10% environ du Produit intérieur brut national (PIB).
Sur le terrain, un début de révolution : le quasi-monopole deWestern Union, présent dans quelque 6.000 bureaux de poste français depuis 1994, est en train de se fissurer. MoneyGram, deuxième opérateur du secteur, veut déployer ses services chez les buralistes de l’Hexagone. D’autres acteurs cherchent à s’implanter. Cette nouvelle concurrence, facilitée par une directive européenne de 2009, devrait entraîner une diversification des services proposés et, surtout, une baisse des prix pour les particuliers. MoneyGram propose par exemple une gamme de «transferts différés » à prix cassés (l’argent est disponible, non pas instantanément, mais au bout de 24 à 48 heures). Maroc Telecom devrait lancer d’ici septembre un système de transfert d’argent par téléphone portable, entre la France et le Maroc.
Cette intensification de la concurrence est saluée par la communauté internationale. Au G-8 de L’Aquila, en juillet 2009, les chefs d’État avaient plaidé pour une baisse de moitié des taux appliqués aux transferts, d’ici à cinq ans, actuellement à 9,7% en moyenne. Car le sujet ne se restreint pas, bien sûr, à la France. A l’échelle de la planète, ces flux d’argent des migrants (remittances) ont atteint 328 milliards de dollars en 2008, selon la Banque mondiale. Presque trois fois plus importants que les budgets de l’aide publique au développement (APD), ressortis à 119 milliards de dollars l’an dernier au sein des membres de l’OCDE.
Une comparaison d’autant plus impressionnante qu’une bonne partie des transferts vers les pays d’origine doit se faire de manière informelle.
Encourager la fuite des cerveaux ?
La carte des «remittances» (Fida/2006) Il n’en fallait pas plus, aux dirigeants des pays du Nord, pour faire des remittances l’un des piliers à venir de leur politique de développement. Les transferts de migrants, plus forts que l’APD, à l’efficacité si souvent contestée ? De l’argent privé plutôt que des fonds publics ? En pleine vague d’austérité au Nord, l’idée en séduit plus d’un. D’après un document de travail de l’Agence française de développement (AFD), 80% de ces transferts sont directement consommés par des «ménages récipiendaires », c’est-à-dire les familles des migrants. En fait, dans bien des cas, les remittances permettent, au Sud, d’amortir les chocs les plus violents (flambée des prix des produits alimentaires, catastrophe naturelle, etc.). Il n’est toutefois pas exclu d’imaginer une utilisation plus ambitieuse des fonds, à l’échelle d’une commune ou d’une région.
Des professionnels du développement observent avec un certain scepticisme cette nouvelle mode pour l’argent des migrants. «Très bien, pourquoi pas... Mais en aucun cas cela ne doit être présenté comme le moteur d’une politique du développement. Cela ne tient pas lieu d’une politique publique ! », prévient Sébastien Fourmy, d’Oxfam France-Agir Ici. Les transferts des migrants n’ont qu’un impact très faible, par exemple, dans les campagnes. Le risque, dénoncé par des ONG : que l’argent des migrants fasse oublier les belles promesses sur l’aide publique au développement. La France, qui a consacré en 2009 0,46% de son Revenu national brut à l’aide, contre 0,39% en 2008, reste très loin de l’objectif de 0,7%, censé permettre d’atteindre, en 2015, les Objectifs du millénaire.
Depuis le G-8 de L’Aquila, les chefs d’Etat des pays les plus riches ne jurent plus que par la «whole of country approach to development » (une «approche globale du développement »), censée inclure les dons publics et les prêts à taux préférentiel, mais aussi la relance du secteur privé, et une myriade de financements dits «innovants ». «Paris joue à brouiller les contours de l’aide. La stratégie, c’est de faire passer pour has been, pour totalement dépassé, l’objectif de 0,7% d’aide publique... Mais avec des microsolutions, on ne répond pas aux méga-problèmes », regrette Sébastien Fourmy.
De son côté, Lise Chauvet, chercheur à l’Institut de recherche et du développement (IRD), reconnaît les effets bénéfiques, au niveau local, des remittances . Mais s’inquiète du risque d’institutionnaliser un peu plus la «fuite des cerveaux » en cours, des pays les plus pauvres vers les plus riches.