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1 octobre 2012 1 01 /10 /octobre /2012 19:37

94.jpg« Les Etats créent les nations, pas l’inverse »

par Eric Hobsbawm, mai 2010

« J’utilise le terme “nationalisme” dans le sens défini par [Ernest]Gellner : “Le nationalisme est essentiellement un principe qui exige que l’unité politique et l’unité nationale se recouvrent (1). J’ajouterai que ce principe implique aussi que le devoir politique des Ruritaniens envers l’Etat qui englobe et représente la nation ruritanienne [contrée imaginaire en Europe centrale] l’emporte sur toutes les autres obligations publiques, et dans les cas extrêmes (comme les guerres) sur toute autre obligation de quelque ordre que ce soit. Ce trait distingue le nationalisme moderne de toutes les autres formes, moins exigeantes, d’identification nationale ou d’identification à un groupe que nous rencontrerons par ailleurs.

« Comme la plupart des gens sérieux qui ont étudié le problème, je ne considère pas la “nation” comme une entité sociale fondamentale ni immuable. Elle appartient exclusivement à une période particulière, et historiquement récente. Ce n’est une entité sociale que pour autant qu’elle est liée à un certain type d’Etat territorial moderne, l’“Etat-nation”, et parler de nation ou de nationalité sans rattacher ces deux notions à cette réalité historique n’a pas de sens. J’insisterai en outre avec Gellner sur la part de l’artefact, de l’invention et de la création délibérée appliquée au social dans la genèse des nations. “Les nations considérées comme le moyen naturel, donné par Dieu, de classer les hommes, les nations représentant un destin politique... inhérent, sont un mythe ; le nationalisme, qui parfois prend des cultures préexistantes et les transforme en nations, parfois les invente, et souvent oblitère les cultures préexistantes, cela, c’est une réalité.” Bref, pour les besoins de l’analyse, le nationalisme vient avant les nations. Ce ne sont pas les nations qui font les Etats et le nationalisme ; c’est l’inverse. (…)

« C’est un phénomène double : construit essentiellement d’en haut, il doit aussi être analysé par le bas, c’est-à-dire à partir des hypothèses, des espoirs, des besoins, des nostalgies et des intérêts — qui ne sont pas nécessairement nationaux, et moins encore nationalistes — des gens ordinaires. (...) Trois choses sont claires. Premièrement, les idéologies officielles des Etats et des mouvements ne permettent pas de découvrir ce qui se passe dans l’esprit des citoyens, fussent-ils les plus sincères de leurs partisans. Deuxièmement, et plus précisément, nous ne pouvons affirmer que pour la plupart des gens l’identification nationale — quand elle existe — exclut les autres identifications possibles qui constituent l’être social d’une personne, ou leur soit toujours supérieure. En fait, elle est toujours associée à des identifications d’autres types, même quand elle est considérée comme supérieure à celles-ci. Troisièmement, l’identification nationale, avec ce qu’elle est censée sous-entendre, peut changer et se modifier au fil du temps, même au cours de périodes assez brèves. »

Nations et nationalisme depuis 1780, Gallimard, Paris, 1992.

Eric Hobsbawm 

Historien britannique. Auteur de L’Age des extrêmes. Le court XXe siècle, 1914-1991, Complexe-Le Monde diplomatique, Bruxelles-Paris, 1999.

 

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29 mai 2011 7 29 /05 /mai /2011 18:59

commune-1871.jpgLes écrivains face à la Commune  

24.05.2011

Il y a tout juste 140 ans, le 28 mai 1871, la Commune de Paris s'achevait dans le sang. L'occasion est belle de revenir sur la réaction des écrivains devant cette insurrection populaire qui dura plus de deux mois.

Entre indignation morale et fascination esthétique, le coeur de ces derniers balançait. Leur plume aussi, qui pour mieux raconter l'éventration de Paris, s'était faite photographique...

Le 26 janvier 1871, une semaine après la proclamation de l'empire allemand dans la Galerie des glaces du château de Versailles, l'armistice franco-allemand est conclu dans la douleur et l'humiliation. Pour les ouvriers de Paris, qui ont lutté durant quatre mois, la défaite est insupportable. Rapidement rejoint par la Garde nationale, le peuple se soulève à partir du 18 mars et s'en prend aux représentants du gouvernement.

L'insurrection s'étend sur 72 jours au bout desquels elle est brutalement réprimée par les troupes versaillaises lors de la Semaine sanglante. 20 000 communards -ou supposés tels- sont fusillés sans jugement.

Ecouterles podcats.

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24 janvier 2011 1 24 /01 /janvier /2011 22:29

162983L’explication d’un document écrit

« Les libertés nécessaires »

 

1. Présentez le document

Ce texte est un discours [nature] d’ Adolphe Thiers, daté de 1864 [date] prononcé au Corps Législatif, principale assemblée de l’empire qui vote les lois et le budget. Adolphe Thiers (1797 – 1877) est un homme politique majeur du XIX è ; en 1830 il contribue à l’arrivée au pouvoir de Louis-Philippe, ministre de l’Intérieur en 1832, président du Conseil en 36 et 40, il se retire ensuite. De retour en politique en 48, élu député, il appuie la candidature de Louis-Napoléon Bonaparte à la présidence de la République puis rompt en 1850. Arrêté lors du coup d’État du 2 décembre 1851, il s’exile [auteur]. En 1863, il est élu député à Paris. Il fait ici sa rentrée parlementaire, quand l’Empire se libéralise [contexte] et réclame les libertés nécessaires [principal thème abordé].

 

2. Quelles sont les libertés réclamées par Thiers ? Quel type de régime politique envisage- t-il ?

Thiers réclame 5 libertés nécessaires :

- le retour de la liberté individuelle : « sécurité du citoyen » ; « sans être exposé à aucun acte arbitraire ».

- la liberté de la presse : « il faut que tous ensemble échangent leurs idées et arrivent à cette pensée commune qu’on appelle l’opinion publique ; et cela n’est possible que par la presse ».

- la liberté électorale : « il ne fait pas qu’il [le gouvernement] puisse dicter le choix et imposer sa volonté dans les élections. Voilà ce que j’appelle la liberté électorale ».

- le contrôle du gouvernement par le Parlement : « qu’‘ils [les élus] puissent à temps apporter un utile contrôle à tous les actes du pouvoir… c’est là la liberté de la représentation nationale ».

- un gouvernement représentatif (de l’état de l’opinion) : « que l’opinion publique… devienne la directrice des actes du gouvernement. »

C’est donc très nettement un régime parlementaire qu’il envisage.

 

3. En quoi ces libertés réclamées sont-elles une critique systématique du régime napoléonien ? Mobilisez des connaissances précises.

La liberté individuelle a été balayée par la répression après le coup d’État de 1851, l’opinion publique est réduite au silence, beaucoup de républicains et socialistes sont emprisonnés (Blanqui) ou en exil (Ledru-Rollin, Hugo). L’attentat d’Orsini permet un durcissement de la répression avec la « loi des suspects » (février 1858) : toute personne déjà connue comme opposant politique peut être condamnée sans procès.

La presse est muselée par les autorisations préalables, les cautions élevées à verser et le système des avertissements.

La liberté électorale n’existe pas même si le suffrage universel masculin perdure à cause de la « candidature officielle » ; le candidat officiel bénéficie de l’aide des pouvoirs publics (affiches, propagande) à quoi l’on peut ajouter les menaces de l’administration sur les autres candidats et le bourrage des urnes.

Le Parlement, comprenons le seul Corps Législatif, vote sans discuter même si depuis 1860 il a un droit d’adresse et depuis 1861 le contrôle du budget.

 

4. Napoléon III a-t-il tenu compte de cette réclamation ? Nuancez votre réponse.

En bonne partie ; au moment où Thiers prononce son discours, le régime a déjà entamé sa libéralisation ; le Corps Législatif obtient les droits d’amendements (1866), de critique (d’interpellation) du gouvernement (1867) ; en 1868 l’autorisation préalable et les avertissements pour la presse disparaissent ; en 1869 le Corps Législatif élit même son président et dispose de l’initiative des lois conjointement avec l’empereur. On se rapproche fortement d’un régime parlementaire surtout quand Émile Ollivier est nommé principal ministre et que les ministres sont responsables devant le Corps Législatif. Pour autant, le régime ne cesse pas d’être ambigu : en 1870 Napoléon III a encore recours au plébiscite (pour restaurer sa légitimité). La libéralisation est le fait de l’empereur seul et non le fruit d’une volonté politique collective ; c’est contre ses soutiens traditionnels que Napoléon III s’est engagé dans cette voie.

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2 janvier 2011 7 02 /01 /janvier /2011 14:13

Revolution-Nationale.jpgVichystes et pourtant résistants

01 Janvier 2011  

 Nicolas Chevassus-au-Louis

Vichysto-résistants: le terme est longtemps passé pour un oxymore iconoclaste. On ne pouvait qu'être pour Vichy ou pour la Résistance. Tel était du moins ce qu'affirmaient les anciens résistants, dont la parole restait sur ce point incontestée. La révélation spectaculaire, en 1994, des activités de François Mitterrand sous l'Occupation, est venue changer la donne. Si le premier des Français laissait écrire qu'il avait été décoré de la francisque par le maréchal Pétain en personne tout en animant un mouvement de résistance, c'est donc que la parole pouvait se libérer sur les complexités de l'époque, sur ces itinéraires tortueux et déconcertants, sur ce «penser double», comme l'appelle l'historien Pierre Laborie, caractéristique des Français sous l'Occupation. Les historiens se sont engouffrés dans la brèche. Plusieurs livres récents (Robert Belot, La Résistance sans de Gaulle, Fayard, 2006; Bénédicte Vergez-Chaignon, Les Vichysto-Résistants, Perrin, 2008; Johanna Barasz, thèse de doctorat intitulée De Vichy à la Résistance à paraître chez Payot), abordent de front la question longtemps taboue des porosités, des hommes comme des idées, entre vichysme et résistance.

Une porosité qui ne fut jamais aussi forte qu'à l'automne 1940, alors que la politique de l'Etat français faisait l'objet de toutes les spéculations.

Le journal tenu pendant l'Occupation par Louis Martin-Chauffier, récemment publié (Français en résistance, Robert Laffont/Bouquins, 2009), donne à voir au jour le jour les interrogations que suscitaient les premiers mois de la politique du gouvernement du maréchal Pétain.

Futur résistant et déporté, Louis Martin-Chauffier n'a absolument aucune inclinaison pour le nouveau régime. «L'ordre moral fermait les dancings et les robes, proscrivait les livres de M. Gide, les shorts et le Pernod. Au cri de «La France aux Français», on chassait les métèques et les Juifs», note-t-il le 10 août 1940. Cet écrivain et journaliste, marqué à gauche, est aussi un homme bien informé, familier des milieux politiques et diplomatiques de Vichy où il se rend souvent.

Pourtant, on sent à le lire combien il peine à saisir les orientations du nouveau régime:  «On prête à Pétain (mais ce sont là des bruits non contrôlés de salle de rédaction) une ferme intention de refus, contre Laval qui plaide la soumission et serait prêt à prendre le pouvoir. Mais ce que les journaux américains (...) appellent « the little Vichy clique » ne tient que par le nom du vieux maréchal, fil usé qui accroche au plafond cette troupe de lâches pantins», écrit-il le 24 octobre, jour de l'entrevue de Montoire entre Pétain et Hitler. La politique de collaboration qui y a été lancée lui semble d'abord bénéficier à Vichy: «un communiqué du conseil des ministres annonce discrètement la prochaine installation de Pétain à Versailles», relève-t-il le 3 décembre. Quelques jours plus tard, c'est à nouveau l'incertitude. «Depuis minuit, impossible d'entrer en communication avec Vichy, isolé du monde. Que se passe-t-il ? Coup d'Etat ? Attentat ?» (14 décembre). Ce n'est en fait qu'une «révolution de palais», note-t-il le lendemain, Laval ayant été renvoyé par Pétain de la vice-présidence du conseil.

Est-ce le signe d'un tournant vers la reprise de la guerre contre l'Allemagne? «Le Maréchal opposerait un refus formel au retour de Laval dans le gouvernement et à l'exigence (allemande) de bases navales méditerranéennes. A la menace d'occupation, il riposte par la menace de l'Afrique française et de la flotte entrant dans la guerre. On ne peut qu'approuver et admirer sa rigueur qui effacerait bien des hontes», écrit-il le dernier jour de l'année.

Rares sont, en cette fin 1940, ceux qui rejettent dans un même mouvement l'occupant et le régime vichyste. Fabienne Federini, sociologue, voit plusieurs composantes dans la dissidence.

Si L'Humanité clandestine titre le 25 novembre «Pétain vomi par le peuple» et dénonce sans relâche la politique de l'Etat français, elle se garde bien d'attaquer ouvertement l'Allemagne. Jusqu'au printemps 1941, la ligne du PCF reste «Ni Londres, ni Berlin». Au sein des premiers noyaux de résistance, on compte certes nombre de militants qui, venus de la gauche antifasciste, sont sans illusion sur une éventuelle volonté du régime vichyste de s'opposer à l'Allemagne. Jean Cavaillès déclare ainsi à ses compagnons de La Dernière Colonne (qui donnera naissance à Libération-Sud) que «Pétain joue un triple jeu, le troisième consistant à dire qu'il en joue un double».

La présence de l'idéologie vichyste carte1942.jpg

«Travail forcé – Loin de la Famille – Contre la Patrie », lance un papillon apposé sur les murs de Paris par les membres de Valmy. Ces militants d'emblée hostile à Pétain épluchent les mémoires de Clémenceau et de Foch à la recherche de toutes les informations susceptibles de saper le mythe du vainqueur de Verdun, mais se gardent bien de les diffuser, tant la popularité du maréchal reste immense.

Un survol des éditoriaux des premiers numéros de la presse clandestine suffit à s'en convaincre. «Pétain a refusé une première fois la collaboration avec l'Allemagne contre l'Angleterre. Le maréchal doit se sentir soutenu dans sa résistance par la volonté française unanime», écrit Liberté, le 25 novembre 1940, en zone sud. De même en zone nord, Pantagruel enjoint ses lecteurs en octobre à «se rallier moralement au général de Gaulle, qui seul maintient à la face du monde les traditions françaises d'héroïsme et de respect de la parole donnée» tout en évoquant «l'honnête maréchal Pétain».

Ce même éditorial contient des lignes aussi troublantes que peu clairvoyantes: «Pour les antisémites, nous leur dirons que la victoire de l'Allemagne n'aurait aucune signification anti-juive. Elle n'aime guère les communistes et s'entend fort bien avec eux lorsque ses intérêts l'exigent. C'est grâce à elle que les communistes français relèvent la tête et reprennent leur propagande. Elle fera de même avec les Juifs, au besoin, elle installera elle-même en France des Juifs allemands. D'autre part, la victoire de l'Angleterre n'aura aucune signification pro-juive comme certaines feuilles de trahison l'insinuent». Est-ce à dire que les premiers noyaux de Résistance adhéraient non seulement à la figure de Pétain, mais aussi aux valeurs promues du régime de l'Etat français?

La réponse est nuancée. Certains traits marquants de l'idéologie vichyste, comme le rejet du parlementarisme, sont omniprésents. Même les rédacteurs de Résistance, pourtant d'emblée hostiles à Pétain, prennent soin de préciser dans leur premier numéro qu'ils «n'ont jamais participé aux querelles des partis d'autrefois, aux assemblées ni aux gouvernements». La condamnation de «l'anti-France», jugée responsable de la défaite, n'est pas rare. Le manifeste fondateur du mouvement Ceux de la Libération (qui sera un des membres du Conseil national de la Résistance mis en place par Jean Moulin), rédigé à l'automne 1940, entend par exemple «compléter l'œuvre de la Libération en débarrassant la Nation des politiciens bavards et incapables (bons et mauvais), des Juifs sans patrie, des financiers et gangsters internationaux sans pitié qui tous sont responsables de notre déchéance et ont pillé le pays».

Mais pour prendre position sur la Révolution nationale, encore faut-il en avoir une réelle connaissance. Si les mesures d'exclusion –des Juifs, des francs maçons, des communistes, des récemment naturalisés, etc– décidées par le régime de Vichy s'appliquent sur tout le territoire, ses entreprises visant à régénérer le pays – Chantiers de jeunesse, Légion française des combattants – ne se développent qu'en zone sud. «Au sud, la Résistance intègre Vichy à sa réflexion, et le combat se construit, positivement ou négativement, sur cette réalité. Au nord en revanche, la présence allemande minore cette donnée», commente l'historien Olivier Wieviorka.

La libération nationale avant la révolution nationale

C'est donc surtout en zone sud que l'idéologie pétainiste est la plus influente parmi les premiers noyaux de résistance. Dans le manifeste de son Mouvement de libération nationale, rédigé à Marseille en août 1940, Henri Frenay écrit par exemple: «A l'œuvre du maréchal Pétain nous sommes passionnément attachés. Nous souscrivons à l'ensemble des grandes réformes qui ont été entreprises. Nous sommes animés du désir qu'elles soient durables». Pionnier de la Résistance, Frenay hiérarchise cependant ses priorités: «la Révolution nationale nécessaire ne se fera pas tant que l'Allemagne sera à même de dicter sa volonté. Dans l'ordre chronologique, cette Révolution nationale viendra après la Libération nationale, laquelle vise à bouter le Boche hors de France».

Plus complexe est la position de ceux qui cherchent à combattre l'Allemagne tout en soutenant le régime de Vichy, voire en y participant, mais sans hiérarchiser ces deux engagements. Ce sont ces hommes que Johanna Barasz, qui vient de soutenir la première thèse universitaire sur ce sujet, décrit comme «vichysto-résistants».

Une des figures emblématiques en est le général d'aviation à la retraite Gabriel Cochet qui rédige dès septembre 1940 un premier texte appelant le peuple à «une inébranlable volonté de résistance» tout en soutenant «l'œuvre de rénovation nationale» du maréchal Pétain. Refusant de donner à son action une connotation dissidente, il signe de son nom et de son grade.

Abondamment diffusés dans toute la zone sud, ces appels successifs relient entre eux des dizaines de groupes locaux se revendiquant du mouvement du général Cochet, dont certains s'engagent dans la collecte de renseignement et l'entraînement paramilitaire. Au sein de la petite armée d'armistice, certains officiers camouflent du matériel dans la perspective d'une reprise des combats. Quelques militaires, comme le commandant Loustaunau-Lacau ou le colonel Groussard, tous venus de l'extrême-droite, préparent la reprise des combats contre l'Allemagne tout en travaillant au sein des services de sécurité de l'appareil d'Etat vichyste.

Leur action n'est pas dépourvu du double-jeu propre à l'univers obscur du renseignement. Ils rendent des services à certains noyaux de résistance – notamment ceux de Frenay et Cochet –, mais traquent sans merci les communistes. Ils font passer des informations à Londres et prennent langue avec les services gaullistes, mais entretiennent des contacts avec les Allemands.

Cependant, observe Johanna Barasz, «la propagande ne peut à la fois légitimer le régime de Vichy et le délégitimer, pas davantage que la collecte de renseignements ne peut en même temps contribuer à la défaite de l'Allemagne et servir les visées d'un régime collaborateur. Les acteurs finissent nécessairement par en prendre conscience. La coexistence du vichysme et de la résistance n'est possible qu'au prix d'un échafaudage discursif complexe, dissonant, fragile et transitoire. Il y a donc, nécessairement une métamorphose ». Pour cette première génération de vichysto-résistants, la «métamorphose» se produira graduellement au long de l'année 1941 quand le régime vichyste s'engagera officiellement dans la voie de la collaboration militaire avec l'Allemagne.

La même année, le régime optera pour la répression contre ceux qui, en son sein, entretenaient des contacts avec les Britanniques, les Gaullistes, ou certains noyaux de la résistance intérieure. Une seconde génération de vichysto-résistants – dont François Mitterrand – suivra au tournant de 1942 et 1943, entamant sa «métamorphose» après l'occupation de la zone sud par les Allemands et le passage de l'Afrique du Nord française dans le camp allié.

La disparition des grands acteurs de la Résistance

 

L'intérêt nouveau des historiens pour les trajectoires vichysto-résistantes est emblématique du tournant que s'apprête à connaître l'historiographie de la Résistance. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, tous les historiens ont travaillé en collaboration étroite avec les acteurs de la Résistance. Or, ces derniers disparaissent les uns après les autres.

L'association des résistants de 1940 a ainsi dû se résoudre en 2005 à sa dissolution et à son intégration dans la Fondation de la Résistance. 92 lettres de convocation avaient été envoyés mais seulement 9 membres d'une association qui en comptait 490 en 1958 avaient pu se rendre à son assemblée annuelle. Depuis lors, Lucie Aubrac, Jean-Pierre Vernant, André Postel-Vinay, Serge Ravanel, Germaine Tillion, pour ne citer que les plus connus des pionniers, sont décédés. Force est de reconnaître que leur disparition autorise les historiens à aborder des questions qu'il était très difficile de poser de leur vivant. Le témoignage de Julien Blanc, historien:

Des questions telles celles de leurs rapports initiaux avec le régime vichyste, si longtemps tus, enfouis ou refoulés. Il fallait toute l'autorité morale d'un Daniel Cordier, l'ancien secrétaire de Jean Moulin devenu historien, pour publier dès 1989 des extraits du manifeste explicitement pétainiste de Henri Frenay de 1940. Encore faut-il préciser que Cordier, qu'une longue polémique avait opposé à Frenay, avait attendu le décès de ce dernier pour rendre public ce document. S'il suscita à l'époque l'ire des anciens compagnons de résistance de Frenay qui hurlèrent au faussaire, l'authenticité de ce document est aujourd'hui bien établie par les historiens.

C'est le même Cordier qui démontra en 1999 que le recueil des appels de 1940-41 du général Cochet  – qui rejoindra de Gaulle après avoir été arrêté par Vichy – publié après guerre avait été expurgé de tous ses passages explicitement pétainistes.

Pionnier de la France libre, mais aussi pionnier d'une histoire de la Résistance ne s'appuyant que sur des sources écrites, Cordier a ainsi anticipé une évolution à laquelle tous les historiens spécialistes de la période sont aujourd'hui confrontés: celle de la disparition inéluctable des acteurs de la Résistance, qui oblige à rendre compte d'une histoire qui fut, par définition, clandestine, sans recourir aux témoignages de ceux qui l'ont vécue. Même si, comme l'observe Laurent Douzou, «il restera toujours un dialogue des historiens avec les enfants des acteurs/témoins, ou avec leurs écrits», cette évolution laisse présager de sérieuses réévaluations dans l'écriture d'une histoire qui n'a rien perdu, soixante-dix ans après les faits, de sa puissance émotionnelle.

Nicolas Chevassus-au-Louis, est journaliste scientifique et auteur de plusieurs livres dont Savant sous l'occupation. Enquête sur la vie scientifique française entre 1940 et 1944 (Le Seuil, 2004). Il a réalisé cet été pour Mediapart, une série sur ce que la biologie dit de l'identité dont on peut retrouver ici les cinq volets 

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2 janvier 2011 7 02 /01 /janvier /2011 14:04

11nov1940.jpg1940: une hostilité inorganisée à l'occupant

 29 Décembre 2010

Nicolas Chevassus-au-Louis

Depuis La France de Vichy de Robert Paxton paru en 1973, on s'était habitué à considérer l'opinion publique de l'automne 1940 comme inerte, assommée par la défaite, «s'accommodant» de la présence de l'occupant, selon le terme de Philippe Burrin dans La France à l'heure allemande (Le Seuil, 1995). Cette vision des années noires insistant sur le régime de Vichy et minimisant le rôle de l'occupant est de plus en plus critiquée par les historiens. Plusieurs travaux récents insistent au contraire sur l'importance de l'hostilité aux Allemands dès les premiers mois de l'Occupation, terreau dans lequel s'enracinèrent les actions des pionniers de la Résistance.

«Nous voulions faire quelque chose». L'expression est omniprésente dans leurs écrits comme dans leurs témoignages. Mais que faire, quand on est sans armes face à Hitler? D'une imagerie de la Résistance faite de maquisards, de trains déraillés et de tractions avant peintes d'une croix de Lorraine, omniprésente des séries télévisées aux manuels scolaires, il faut se détacher pour comprendre ce que furent les actions des pionniers de la Résistance.

Israël Leizer Karp, Etienne Chavanne, Paul Frizot... Le premier pour s'être précipité armé d'un simple bâton contre une parade militaire allemande à Bordeaux, les deux autres pour avoir sectionné des câbles de transmission utilisés par l'armée allemande, ils sont, durant l'été 1940, les premiers fusillés de l'Occupation. D'autres suivront, durant l'automne, toujours pour des faits de sabotage. L'importance de ces actes spontanés, instinctifs, de cette «résistance a-organisationnelle» comme l'appelle l'historienne Jacqueline Sainclivier, est depuis quelques années revue à la hausse par les historiens. Dans Hôtel Majestic, Ordre et sécurité en France occupée (1940-1944), publié au mois d'août 2010 chez Tallandier, l'historienne Gaël Eismann recense pas moins de 36 sabotages de câbles militaires dans la seule région militaire de Saint-Germain en Laye (Ile-de-France hors Paris, Normandie et Centre) entre le 25 novembre 1940 et le 17 janvier 1941.

Ces actes, jugés sporadiques par l'occupant, ne mettent pas en péril la sécurité de ses troupes. Ils sont cependant impitoyablement réprimés: 162 peines de mort prononcées – dont 42 exécutées – par les tribunaux militaires allemands contre des civils français entre juin 1940 et la fin juillet 1941, date du début de la lutte armée des communistes. «Dès le mois d'août 1940, et bien que la situation reste d'abord contrastée au plan régional, le commandement militaire allemand enregistre une dégradation sensible dans l'opinion publique, observation qui dès la fin de l'année s'étendra à l'ensemble du territoire. L'impression prévaut que, passé le choc de la défaite, un sentiment anti-allemand associé à un mouvement de mécontentement à l'encontre du gouvernement français tend à se développer en zone occupée», relève Gaël Eismann.

Ce rejet initial de l'occupant s'exprime de multiples manières. Les actualités allemandes sont si souvent sifflées dans les cinémas que les autorités d'occupation imposent que la lumière soit maintenue durant leur projection de manière à pouvoir identifier les factieux. Les V – pour «victoire» – se multiplient sur les murs, à tel point que la préfecture de police de Paris met en place une brigade spéciale pour les effacer. Les autorités d'occupation, inquiètes, s'efforcent d'en détourner le sens en faisant apposer une banderole frappée d'un gigantesque Victoria en lettres gothiques sur la tour Eiffel et le palais Bourbon.

Toujours à Paris, une manifestation estudiantine rassemble quelques 6000 personnes le 11 novembre 1940, pour la commémoration de la victoire de 1918.

Longtemps mythifiée, cette initiative spontanée est aujourd'hui mieux connue grâce aux travaux de l'historienne Danielle Tartakowski qui a pu en établir le bilan : pas moins de 1099 arrestations par la police française, secondée de renforts allemands. Et l'année se termine par l'enterrement le 30 décembre d'aviateurs anglais tombés à Lanester, dans le Morbihan, suivi par le quart de la population de cette petite commune ouvrière.

Encourager l'hostilité latente

 

Exhumés ces dernières années des archives allemandes comme de celles de la police française, ces faits illustrent la réalité de l'hostilité initiale, longtemps minorée, à l'occupant en zone nord, d'autant plus forte que sa présence est visible. C'est dans les villes, les zones littorales, et plus encore les départements de l'Est (annexés au Reich) et du Nord (rattachés au commandement militaire de Belgique), c'est-à-dire là où les troupes allemandes sont les plus implantées, que ses manifestations sont les plus nombreuses. Comment les transformer en engagement actif? Comment convaincre que la lutte contre l'Allemagne peut et doit se poursuivre? Telles sont les questions qui se posent, à l'automne 1940, aux pionniers de la Résistance.

Tous s'efforcent d'emblée d'encourager l'hostilité latente de l'opinion envers l'occupant. Dès l'été 1940, circule dans Paris une brochure anonyme intitulée Conseils à l'occupé. Dans un style plein d'ironie, son rédacteur, le journaliste Jean Texcier y dispense 33 conseils à ses compatriotes pour conserver leur dignité malgré la défaite. «Depuis que tu es occupé, ils paradent en ton déshonneur. Resteras-tu à les contempler? Intéresse-toi plutôt aux étalages. C'est bien plus émouvant, car, au train où ils emplissent leurs camions, tu ne trouveras bientôt plus rien à acheter.»

Eternelle arme des peuples soumis, la dérision est aussi omniprésente dans les papillons apposés sur les murs. «Si vous voulez visiter Rome, engagez-vous dans l'armée grecque» alors que les troupes mussoliniennes sont en difficulté en Grèce; «Né en Allemagne/Engraissé en France/ Tué en Angleterre/ Salé dans la Manche», pendant que l'aviation allemande bombarde l'Angleterre.

Des papillons, les pionniers passent vite aux journaux. A l'automne 1940, presque aucun groupe – hormis le PCF qui édite clandestinement L'Humanité depuis son interdiction en septembre 1939 –  ne dispose d'imprimerie. Les journaux, quelques feuilles souvent rédigées par une seule personne usant de différents pseudonymes, sont reproduits sur des ronéos, voire recopiés à la machine à écrire, puis remis en main propre ou envoyés par la poste à des personnes supposées intéressées (ci-contre La Vérité française). Alors que la double censure française et allemande sévit, ils dénoncent la réalité de l'Occupation, alors que le mythe, entretenu par la propagande nazie, de la correction du soldat allemand, n'est pas sans influence. Christian Pineau, bien informé de par ses fonctions au ministère du ravitaillement, souligne dans les premiers numéros de Libération l'ampleur des prélèvements allemands sur l'économie française. « Les journaux allemands en langue française qui paraissent à Paris ont fait grand cas des livraisons de pommes de terre effectuées par l'Allemagne. (...) Nous pouvons donner les raisons de ce curieux échange. Tout d'abord les Allemands réquisitionnent des pommes de terre de première qualité et livrent celles qu'ils destinaient à leurs cochons. D'autre part, ils paient les pommes de terre réquisitionnées avec les marks sans valeur qu'ils émettent en France » écrit-il dans le numéro 4, daté du 22 décembre 1940.

Une quinzaine de journaux clandestins

Quelle fut l'audience de cette presse clandestine, qui comptait déjà une quinzaine de titres à la fin de 1940 dont seulement deux – Libération et La Voix du Nord – parviendront à être publiés durant toute la guerre? Impossible à estimer. Du fait de leur fabrication artisanale, les tirages de ces journaux restaient infimes: sept exemplaires seulement pour le premier numéro de Libération, le 1er décembre 1940! Mais la consigne de recopier le journal démultiplie la diffusion au point que les rédacteurs reçoivent parfois leur propre publication par la poste, adressée par des mains inconnues.

Nombre de témoignages soulignent à quel point la lecture de la presse clandestine contribua à faire sortir du traumatisme de la défaite. «Dans un pays opprimé, soumis à la censure, il était important de contrer la propagande officielle, de montrer que la désobéissance peut être une vertu et, grâce à la diffusion, de faire de nouvelles recrues», observe Jacqueline Sainclivier. Ce recrutement s'opère principalement parmi les fréquentations politiques, amicales ou professionnelles d'avant guerre. D'où une certaine homogénéité sociale des premiers noyaux de résistance, reflet de la personnalité de leurs fondateurs: des ethnologues, et plus généralement des intellectuels, au sein des groupes parisiens du réseau du musée de l'Homme; des syndicalistes au sein de Libération-Nord; des étudiants au sein de Défense de la France; des ingénieurs et des officiers au sein de Ceux de la Libération, etc.

L'édition de journaux clandestins permet aussi de prendre la mesure de la situation radicalement nouvelle créée par l'Occupation en entraînant rédacteurs et diffuseurs à agir dans l'ombre. Lutter contre l'occupant par le verbe fonctionne comme une propédeutique de la clandestinité, indispensable pour des militants qui, à l'exception des communistes, n'en ont aucune expérience. On apprend ainsi la prudence, la méfiance, la discrétion. «Avant la clandestinité, il y a l'illégalité» explique Fabienne Federini, sociologue:

Pour une poignée de noyaux de pionniers, il est en effet clair, dès 1940, que la lutte contre l'occupant ne peut se limiter à la propagande. Explications avec Johanna Barasz, historienne:

 

Depuis l'après-guerre, les historiens avaient coutume de distinguer mouvements et réseaux de résistance, les premiers tournés principalement vers l'action politique de masse, les seconds vers l'action paramilitaire (évasion, renseignement et sabotage) en lien avec les Britanniques ou la France libre.

Des travaux récents montrent que cette distinction, pertinente par la suite, a peu de sens en 1940. Dès l'automne1940, Henri Frenay, capitaine d'Etat major de l'armée active, dresse à Marseille un organigramme de son Mouvement de libération nationale (MLN) incluant une branche renseignement et une branche action. Si elles restent, à cette date, des coquilles vides, elles prendront les années suivantes une ampleur considérable lorsque le MLN se transformera en Combat, plus puissant mouvement de résistance de la zone sud. En zone nord, les travaux de l'historien Julien Blanc ont établi que ce qu'il appelle « la nébuleuse du musée de l'Homme » s'inscrit aussi très précocement dans la perspective d'une reprise des combats.

De l'indignation à l'acte

« Ils sont déjà nombreux (plus d'une armée pour Paris seulement), les hommes ardents et résolus qui ont compris que l'organisation de leur effort était nécessaire, et qu'il fallait une méthode, une discipline et des chefs. (...) Votre tâche immédiate est de vous organiser pour que vous puissiez, au jour où vous en recevrez l'ordre, reprendre le combat » lance l'éditorial du premier numéro de Résistance rédigé par Boris Vildé.

 

Le groupe qu'il dirige ne compte à cette date que quelques dizaines de membres, mais le bluff sur les effectifs, auquel recourront tous les dirigeants des premiers noyaux de résistance, vise à galvaniser les lecteurs en leur donnant l'impression d'être les maillons d'une immense force sur le point d'entrer en action. Il n'est cependant pas infondé: dès l'automne, les membres du groupe du Musée de l'homme mettent en place des filières d'aide aux prisonniers de guerre évadés et aux aviateurs britanniques, procurant vêtements civils, logement et passage vers la zone libre. Ils s'efforcent également de collecter des informations susceptibles d'être utiles aux Alliés: plan des installations allemandes, relevé de leurs cantonnements, mouvements d'appareils militaires, etc.

Cette mue de militants en agents secrets pose à certains des dilemmes moraux bien plus intenses que ne l'avait fait l'acte initiale de désobéissance. Dans de très belle pages de son journal, datées de la fin décembre 1940, Agnès Humbert, qui vient d'obtenir par un de ses contacts du réseau du Musée de l'homme des informations sur les terrains d'aviation allemands, écrit: «Jusqu'à maintenant qu'ai-je fait? De l'inoffensive propagande qui n'a probablement jamais été écoutée que par des gens qui pensent comme nous. Maintenant j'aurai des plans. (...) Oui, un plan, mais ce plan, qu'en ferai-je? Je le passerai aux autres, et eux en useront de la façon que je sais. Oui, par mon entremise, il y aura des veuves, des mères désolées, des enfants sans pères.» Mais croisant une colonne allemande chargée de biens pillés, Agnès Humbert se décide soudainement. «Il faut arrêter ça. Il ne faut pas qu'ils nous colonisent. (...) Et pour que nous ne voyions plus ça, il faut tuer. Tuer comme des bêtes sauvages, tuer pour vivre. Tuer traitreusement, sur plan, tuer des innocents. Il le faut et je le ferai».

Surtout, le choix de développer les activités de renseignement pose le problème concret de savoir comment transmettre les informations collectées à Londres. Les services secrets britanniques sont alors presque complètement absents de la France occupée. Quant aux agents de la France libre, seuls quatre ont, en décembre 1940, été envoyés en mission en métropole, principalement sur le littoral atlantique. S'ils mettent en place certains des premiers réseaux de la France libre (des 256 homologués après guerre comme unité combattante des Forces françaises libres, 35 sont déjà actifs à la fin de 1940), ils ne parviennent pas à établir le contact avec les noyaux de résistance déjà constitués, en particulier autour du Musée de l'homme. Les pionniers s'efforcent donc de recourir aux ambassades des pays neutres, en particulier celle des Etats-Unis pour transmettre leurs informations. D'autres choisissent de se mettre en rapport avec le Deuxième bureau, chargé du renseignement, au sein de l'armée d'armistice. C'est-à-dire de travailler pour Vichy, en supposant que ce dernier est résolu à préparer en secret la reprise des combats: une illusion que l'on verra au prochain épisode avoir été des plus répandues.

 Nicolas Chevassus-au-Louis, est journaliste scientifique et auteur de plusieurs livres dont Savant sous l'occupation. Enquête sur la vie scientifique française entre 1940 et 1944 (Le Seuil, 2004). Il a réalisé cet été pour Mediapart, une série sur ce que la biologie dit de l'identité dont on peut retrouver ici les cinq volets.

Sophie Dufau l'a accompagné pour les entretiens vidéo insérés dans les articles et dont vous pourrez retrouver l'intégralité sous l'onglet Prolonger des articles.

 

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31 décembre 2010 5 31 /12 /décembre /2010 12:30

111705415_reference.jpg«Aucun parti communiste n'est né au congrès de Tours» "Mediapart)

30 Décembre 2010 Par Lénaïg Bredoux 33565

Le temps était au froid, brumeux, ce jour de Noël 1920 quand les 285 délégués du XVIIIe congrès de la Section française de l'Internationale ouvrière (SFIO) ont emprunté la rue nationale jusqu'à la salle du manège de Tours, décorée d'un buste du fondateur disparu, Jean Jaurès, et surplombée d'une large banderole proclamant «Prolétaire de tous pays unissez-vous».

Dès l'ouverture des travaux, en début de matinée du samedi 25 décembre, l'ambiance est électrique, l'ordre du jour modifié, les discours parfois à peine audibles, entre les partisans de la Russie soviétique, conduits par Louis-Oscar Frossard et Marcel Cachin, et les tenants d'une ligne plus réformatrice, emmenés par Léon Blum.

Tous doivent répondre à une question cruciale: faut-il adhérer à la IIIe Internationale, fondée par les Bolcheviks qui ont pris le pouvoir à Moscou? Les débats vont durer six jours, exténuants, tendus, comme en témoigne Blum qui lance à la salle: «J'ai naturellement une voix très faible. Je suis, d'autre part, très fatigué, comme vous tous, et il me serait matériellement impossible de surmonter par la force de mon gosier et de mes poumons le tumulte et les interruptions violentes.» Mais l'issue du vote ne fait guère mystère. Et Blum le sait. Ses premiers mots: «Je demande au congrès d'avoir égard à ce qu'il y a d'ingrat dans la tâche que mes camarades m'ont confiée devant une assemblée dont la résolution est arrêtée, dont la volonté d'adhésion est fixée et inébranlable.»

Il sait que les représentants des 89 fédérations, dont celle d'Oran, de Tunisie ou des «camarades annamites», qui se sont relayés à la tribune ont déjà dit qu'ils étaient majoritairement favorables à l'alignement sur Moscou. Il sait que la Grande guerre, et l'Union sacrée finalement votée par les héritiers de Jaurès, ont laissé des traces profondes, particulièrement auprès des jeunes militants, nombreux dans la salle du Manège. Il sait aussi qu'ils pensent pour partie que les errements de la direction socialiste sont dus à sa forte composante intellectuelle, et qu'ils rêvent de révolution.

«Vous êtes jeunes, camarades», leur lance Marcel Sembat. Cachin, lui, raconte son voyage en Russie: «Nous avons vu vivre la grande nation. (...) Et nous avons assisté à un spectacle qui devait nous émouvoir jusque dans nos fibres les plus intimes de socialistes chevronnés. C'est celui d'un grand pays, le plus grand de l'Europe, radicalement débarrassé de toute bourgeoisie, de tout capitalisme, dirigé uniquement par les représentants de la classe ouvrière et de la classe paysanne.» L'enthousiasme est de son côté.

Blum lui termine, ému, un très long discours par ces mots: «Nous sommes convaincus au fond de nous-mêmes que, pendant que vous irez courir l'aventure, il faut que quelqu'un reste garder la vieille maison. (...) C'est sans doute la dernière fois que je m'adresse à beaucoup d'entre vous et  (...) il faut pourtant que cela soit dit. Les uns et les autres, même séparés, restons des socialistes; malgré tout, restons des frères, des frères qu'aura séparés une querelle cruelle, mais une querelle de famille, et qu'un foyer commun pourra encore réunir.»

Le 30 décembre à Tours, les «frères» se séparent, la Section française de l'Internationale communiste (SFIC) est née, préfigurant le PCF. La motion favorable aux thèses bolcheviques a recueilli 70% des mandats.

 

"Aucun parti communiste n'est né au congrès de Tours"

 

Quelle place tient le congrès de Tours dans l'histoire du PCF?

C'est un mythe. Le PCF comme beaucoup d'autres entités collectives s'est doté d'un récit des origines qui vise à lui conférer une identité qui le différencie des autres et dans laquelle il peut projeter une naissance glorieuse, peu à peu élevée au rang d'événement fondateur. Mais aucun parti communiste n'est né au congrès de Tours. Ce congrès de la SFIO devait prendre position sur la proposition faite par les Bolcheviks d'intégrer une nouvelle internationale. De la scission majoritaire, qui vote l'adhésion à l'Internationale communiste, sort une Section française de l'Internationale communiste (SFIC). Ce n'est que plus tard qu'il s'appellera vraiment Parti communiste (et seulement en 1943 qu'il prendra le nom de PCF). Le premier secrétaire du nouveau parti Louis-Oscar Frossard dira d'ailleurs à la fin des années 1920 qu'il n'avait «jamais été communiste». Les militants qui votent l'adhésion à la nouvelle internationale n'adhèrent pas à ce qui se passe à Moscou en 1920, ils le connaissent d'ailleurs très mal. Ils projettent plutôt sur le parti bolchevik l'idée qu'il valorise le militant ouvrier, l'esprit de discipline, contre les intellectuels socialistes qui ont «trahi» en votant l'Union sacrée pendant la guerre de 14-18.

 

A quand remonte alors la naissance du PCF ?

Ce parti, qui sort du congrès de Tours, ne deviendra réellement Parti communiste qu'à partir des années 1925-1930. Il se décante à l'issue de longues luttes internes et de multiples interventions du parti bolchévik qui provoquent d'incessants changements de direction. A partir de 1930-1931, le groupe dirigeant se stabilise, avec le tout jeune Maurice Thorez (secrétaire général du parti de 1930 à 1964). Les cadres thoréziens vont ensuite rester jusque dans les années 1970, avec Duclos et Waldeck-Rochet. A partir de ce moment-là aussi, l'assujettissement à Moscou, où le parti bolchevik a définitivement conquis le pouvoir, et l'homogénéisation de la formation politique se mettent en place. Ce processus va conduire à la promotion des cadres thoréziens et derrière eux de milliers de cadres issus des milieux populaires.

C'est cette spécificité du PCF qui vous conduit à le qualifier de parti démocratique. A l'opposé de son image traditionnelle.

C'est une spécificité dans l'histoire politique dans la mesure où la démocratie se caractérise par le fait que les représentants sont peu représentatifs de ceux qu'ils sont justement censés représenter. De ce point de vue, les communistes ont permis une démocratisation incontestable de l'action politique. Et suscité un immense bonheur, le «bonheur communiste» ou la «renaissance» évoquée par Jeannette Vermeersch. Il suffit par exemple de penser à Martha Desrumaux, qui a dirigé sa première grève en 1917 en étant analphabète et qui écrira ensuite dans plusieurs journaux. Mais le prix à payer, qui va se révéler progressivement, c'est le stalinisme. Celui-ci s'est justement construit en promouvant ce genre de personnels, y compris en Union soviétique.

Combien de temps dure ce «bonheur communiste»?

Cette matrice tient la route jusqu'en 1956. Elle était associée à la déification du guide infaillible, qui s'effondre avec le rapport Khrouchtchev qui produit un choc phénoménal dans le PCF. On déboulonne alors ce qui faisait tenir le régime de vérité de la matrice stalinienne. Celle-ci va continuer mais au prix d'adaptations. On va alors assister à des débats sans fin entre les philosophes communistes pour refonder une légitimité communiste, on va voir monter de plus en plus d'intellectuels. La matrice continue, mais elle est minée par le déboulonnage de Staline. La question n'est donc plus aujourd'hui de savoir si le PCF est mort: il n'existe plus depuis longtemps. L'appareil politique continue d'exister, il fonctionne encore aujourd'hui, mais en tant que parti stabilisé, associé à un mouvement stalinien, c'est terminé depuis 1956.

Le PCF n'a-t-il pas pourtant contribué à produire une contre-société pendant des décennies, notamment dans les municipalités gérées par des communistes, en promouvant la culture et l'éducation populaire?

Les communistes avaient le sentiment en partie fondé, notamment dans la banlieue rouge, d'avoir construit leur monde, avec un grand bonheur, lié à des sociabilités, des moments de luttes partagées etc. Il y avait un réformisme social très fort. Mais il ne faut pas exagérer ce bonheur communiste collectif: il ne concernait qu'une partie de la population, y compris dans ces villes là; les immigrés étaient parfois vus comme des obstacles. Il faut être prudent avec la logique selon laquelle le PCF a certes été stalinien mais qu'il a aussi fait les colonies de vacances... C'est vrai, mais cela peut avoir pour fonction le refoulement du stalinisme. Il faut tenir les deux bouts, et indiquer que ces deux phénomènes sont imbriqués dans la même histoire.

Après 1956, vous parlez d'une nouvelle rupture en 1977, avec le début de l'hémorragie militante. Comment l'expliquez-vous?

La crise profonde c'est 1956. Mais commence ensuite une période chanceuse pour le PCF d'union de la gauche avec un effet de politisation très fort après 1968. Mais tout s'arrête avec la décision bureaucratique de la rupture avec le PS. Depuis, on vit une longue période de navigation à vue dans les rapports aux socialistes, et une hémorragie progressive des militants qui s'achève avec le départ de Marchais. Robert Hue et Marie-George Buffet sont ensuite deux faces de la gestion d'une entreprise de modernisation, mais d'une modernisation de façade. Le système d'action communiste se disloque, avec la perte des journaux, de maisons d'édition, de centres de pensée intellectuelle. Il ne reste qu'un parti, quelques municipalités et encore un peu de ressources électorales, dans un fonctionnement de pilotage automatique. C'est d'ailleurs très difficile d'avoir aujourd'hui une vue du PCF, avec des militants vieillissants, qui résistent aux transformations et sont incapables de penser une nouvelle histoire de leur parti. Au final, le PCF est en train de devenir l'objet d'une OPA de Mélenchon... 

 

«Le communisme ne se réduit pas au PCF»

A contrario des images d'Epinal sur le PCF, vous décrivez dans votre livre une diversité du militantisme communiste en France. Comment se manifestait-elle?

Les pratiques militantes se sont adaptées aux différents territoires et ont été appropriées par les différents groupes sociaux. L'appareil central a bien produit un modèle général mais ces normes militantes, en s'appliquant, se sont transformées. Par exemple, selon ce modèle, un ouvrier communiste doit militer en priorité dans sa cellule d'entreprise. Or ces structures fonctionnent en réalité très mal et les militants voient les entreprises avant tout comme le lieu de leur engagement syndical. Contrairement aux consignes, ils militent à la CGT dans leur usine et au PCF dans leur localité. Autre exemple, il y avait au PC une adhésion paysanne très forte, souvent faite de petits propriétaires, sur la base de la défense des coopératives ou de l'exploitation familiale, en décalage avec le discours marxiste-léniniste sur l'abolition de la propriété privée et le collectivisme.

Pourquoi garde-t-on encore aujourd'hui en mémoire cette image d'un militantisme ouvrier stalinien discipliné?

Les dirigeants communistes ont défendu l'image du PCF comme Parti de la classe ouvrière, insistant sur l'unité du Parti et dissimulant toute la diversité de la classe ouvrière. De ce point de vue, le travail idéologique et symbolique du PCF a été très efficace, relayé ensuite par les journalistes et les commentateurs. A tel point que quand le PCF a décliné, on a eu l'impression que la classe ouvrière avait disparu. On a aussi surestimé l'encadrement par l'appareil du PCF dans ce que l'on a appelé les «fiefs ouvriers» ou les «bastions rouges». En réalité, les élus y avaient un pouvoir relativement important, les syndicalistes pouvaient bénéficier d'une certaine autonomie, et les cadres de l'appareil n'étaient pas toujours en mesure d'imposer leur politique.

Quel est, dans ce cadre, l'apport le plus important du PCF dans sa longue histoire?

Il a permis à des catégories populaires de participer à la vie publique alors que ces catégories sont généralement exclues de la vie politique. Le PCF fut un outil formidable de promotion pour des ouvriers et des paysans, qui sont devenus élus, responsables d'associations, ont côtoyé des intellectuels, suivis des formations, etc.  Aucun autre parti en France n'a effectué une telle opération. Et ce phénomène repose sur une inscription dans les réalités des classes populaires. La grande force du PC était d'être au centre de multiples réseaux, qui ne dissociaient pas les luttes syndicales, les luttes politiques et le travail dans le monde associatif comme le Secours populaire ou les comités de locataires (CNL). Cette sociabilité très riche reposait sur un discours de mise en relation des réseaux (politiquement tout était lié), souvent par les liens familiaux: il arrivait qu'un frère dirige la section syndicale, quand l'autre était maire et que l'épouse dirigeait la cellule locale...

A partir de quand ces sociabilités se sont-elles délitées ?

Avant de décliner, elles se sont transformées: à partir de la fin des années 1960 et dans les années 1970, des catégories plus diplômées, comme les enseignants ou les animateurs socio-culturels, viennent militer au PCF. L'ouverture sociale est alors très importante, avec des intellectuels diplômés qui dirigent des sections ou deviennent maires. La rupture du programme commun (1977) s'accompagne ensuite d'un rejet de ces nouvelles catégories et un retour de l'ouvriérisme, mais dans une version misérabiliste portée par des dirigeants qui sont de moins en moins des ouvriers et qui sont produits par l'institution, souvent fils d'anciens dirigeants. A partir de là, le déclin est très fort et l'hémorragie militante commence.

Que reste-t-il du PCF et de son ancrage local ?

Ce sont des élus. Les réseaux autrefois liés au parti (municipalités, associations, syndicats) ont éclaté et se sont autonomisés. Les représentants du PCF sont aujourd'hui essentiellement des élus dans les conseils régionaux ou généraux, qui sont en même temps responsables des fédérations, ce qui était impensable avant la fin des années 1980.

Cette dislocation des réseaux communistes a-t-elle été continue depuis trente ans ?

Le déclin est continu mais on peut noter certaines évolutions. Notamment dans les années 1990, quand le PCF s'est ouvert à la «société civile» pour pallier le déclin de ses réseaux et de l'appareil, dans le cadre d'une primauté donnée à la stratégie électorale. C'était par exemple la liste Bouge l'Europe conduite par Robert Hue aux élections européennes de 1995. Le PCF essaie de se renforcer en valorisant des personnalités, qui agissent en leur nom propre, et moins en travaillant les réseaux qui existent encore, comme ceux de la CGT. On met donc de côté la lutte des classes et la valorisation des classes populaires pour insister sur l'antiracisme, l'écologie, le féminisme ou le discours humaniste. Le PCF a finalement été pris dans l'idéologie dominante des années 1990 et a perdu sa singularité de discours de classe dans le paysage politique. Aujourd'hui le plus important pour lui, ce sont ses élus, parce qu'ils font la visibilité du parti. Ce sont d'ailleurs plutôt eux qui décident de la politique du PCF et non plus l'appareil en tant que tel. De ce point de vue, le PCF devient un peu comme le PS.

Peut-on dire qu'aujourd'hui, le PCF, dans sa diversité, est mort?

Le PCF tel qu'il a été fondé au congrès de Tours est mort. L'organisation militante qui a fonctionné des années 1920 aux années 1970 n'existe plus. Le nom est le même mais le parti n'est plus structuré de la même manière. La rupture fondamentale a sûrement eu lieu à la fin des années 1970, avec la perte de deux dimensions constitutives du PCF fondé en 1920, la centralité ouvrière et la centralité militante. La première assurait la primauté des militants d'origine ouvrière dans l'appareil. La seconde faisait que l'identité communiste structurait l'engagement syndical, associatif et municipal des militants. Mais, en se nommant toujours Parti communiste, cette organisation conserve un monopole symbolique sur une étiquette qui a plutôt une image positive en France. Il y a en effet toujours dans le pays une sorte de culture « communiste » qui se maintient, notamment dans les milieux syndicaux et associatifs, dans les réseaux de la gauche de la gauche, entre le PS et l'extrême gauche. Elle ne se matérialise plus automatiquement dans l'appartenance au PCF, ni même forcément dans le vote pour ses candidats, mais elle est basée sur des valeurs communes de progrès et le souvenir des conquêtes sociales. Ces valeurs se maintiennent, comme on a pu le voir lors du mouvement de défense de la retraite à 60 ans, mais elles n'ont plus aujourd'hui de réceptacle politique évident. Le communisme aujourd'hui ne se réduit pas au PCF.

 


Fondation jean-jauresFondation Jean Jaurès. Le dossier réalisé par la fondation Jean-Jaurès (proche du PS), avec notamment l'intégralité des débats du congrès de Tours et les liens avec les discours

 


23/12/2010 à 00h0

 

 logo liberation sansfond small«Le PCF doit prendre à bras-le-corps son histoire»

Interview

Le Parti communiste français fête ses 90 ans. Romain Ducoulombier, historien, retrace son évolution :

Par LILIAN ALEMAGNA

Romain Ducoulombier, historien, est l’auteur de Camarades ! La naissance du Parti communiste en France (Perrin, 2010). Il revient sur les raisons de la scission, il y a quatre-vingt-dix ans, à Tours, de la SFIO et estime que si «l’idée communiste n’a pas de raison de mourir», le «communisme du XXIe siècle doit encore se composer».

 

Quelles sont les origines du Parti communiste en France ?

Sa naissance officielle date de la toute fin décembre 1920 à Tours, lorsque la majorité des socialistes de la Section française de l’Internationale ouvrière (SFIO) adhère à la IIIInternationale et crée la Section française de l’Internationale communiste (SFIC). Mais ce congrès de Tours n’est que l’aboutissement d’un processus de crise qui touche la SFIO durant la Première Guerre mondiale. D’une part, les socialistes se divisent sur la participation au gouvernement d’«Union sacrée». La colère prend de l’ampleur en 1915-1916. D’autre part, dans le parti, les socialistes ont un besoin de rénovation de leurs principes et de leurs pratiques politiques. Ils veulent absolument revenir aux principes «antiministérialistes» et débarrasser le parti de ses «sociaux-patriotes». Et rénover et nettoyer le parti de ses mauvais bergers, donner une nouvelle jeunesse à une formation bouleversée par la guerre.

 

Dans votre livre, vous dites que le PCF est aujourd’hui un «astre mort». Pourtant, quatre-vingt-dix ans après sa naissance, le parti existe encore…

Je ne dis pas que le PCF est mort. J’utilise cette image pour évoquer son parcours historique exceptionnel et illustrer la lumière qu’il projette encore. Le PCF a été capable d’offrir un modèle nouveau de parti politique en France. Il a modernisé les pratiques militantes, mais cette modernisation a pris dès l’origine une tournure autoritaire. Il a été capable, avec le temps, de réunir deux conditions nécessaires à la constitution d’un parti ouvrier : un lien fort avec les syndicats et la promotion d’une nouvelle élite ouvrière. Ni totalitaire ni social-démocrate, le PCF va réussir à s’implanter dans la société française et offrir un modèle qui va fonctionner. Reste qu’aujourd’hui le PCF ne se porte pas très bien. Il a du mal à proposer une offre politique différente de ses concurrents de «la gauche de la gauche».

 

 Le secrétaire national du PCF, Pierre Laurent, parle pourtant de «communisme du XXIe siècle»…

L’idée communiste n’a pas de raison de mourir. Elle est liée à la révolte contre les inégalités, à l’idée de démocratie. Mais le PCF doit prendre à bras-le-corps son histoire, car ses succès, son financement, ont toujours dépendu à la fois de Moscou et de ses élus. Or, une des grandes défaites du PCF est d’avoir perdu la bataille municipale. Cela permettait de défendre sa conception d’un socialisme local et d’entretenir l’appareil. Les bastions locaux, moyens de résistance, se réduisent comme peau de chagrin. Du coup, le «communisme du XXIsiècle» doit encore se composer, car l’ère du messianisme prolétarien, qui prend fin avec le «moment Soljenitsyne» dans les années 70, est terminée. Le mouvement ouvrier français a vécu dans le mythe d’une classe ouvrière libératrice de l’humanité. Ce mythe est épuisé.

 

Le PCF est vieillissant mais dans les cortèges cet automne on a vu les Jeunes communistes. Signe d’une relève ?

Il n’y a pas de raisons que la contestation cesse et que les générations ne se renouvellent pas. Les militants de 1920 ont d’ailleurs un point commun avec les nouvelles générations anticapitalistes et antilibérales d’aujourd’hui - qu’elles soient au PCF ou non : un besoin de dépasser les appareils et celui de servir.

 

D’où le dilemme du PCF - vouloir garder la forme parti ou la dépasser -, ce qui aboutit au Front de gauche ?

Le PCF était une force plébéienne appuyée sur un fort ancrage local. Mais son monopole s’est effondré : il est concurrencé à gauche comme à droite, où le FN apparaît lui aussi comme un porte-parole «populiste», mais sans ancrage local. Pour le Front de gauche, il faut voir si le PCF est capable d’imposer une nouvelle orientation morale, en toilettant son image, sans être utilisé par ses alliés. Le parti offre ce qui reste de son assise locale pour porter sur la scène nationale un tribun qui ne vient pas de ses rangs : Jean-Luc Mélenchon. Reste à voir si cette combinaison peut réussir. Ce sera le test de la présidentielle.

 

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28 décembre 2010 2 28 /12 /décembre /2010 16:12

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Il y a 70 ans, les tâtonnements de la Résistance

 27 Décembre 2010 par  Nicolas Chevassus-au-Louis

  •  Depuis son arrivée au pouvoir, Nicolas Sarkozy s'efforce de replacer la Résistance au cœur de la mémoire de la Seconde guerre mondiale: visite annuelle sur le plateau des Glières, haut-lieu des maquis de 1944; lecture dans les établissements scolaires de la lettre de Guy Môquet; inscription au programme du baccalauréat de français des Mémoires de de Gaulle. Par ces initiatives, le locataire de l'Elysée proclame ostensiblement une filiation gaulliste que toute sa politique vient démentir et marque sa rupture avec un Jacques Chirac qui avait surtout insisté sur la responsabilité française dans les persécutions antisémites.

Le bilan de ces initiatives oscille entre le ridicule pathétique (comme on peut le constater à propos du prétendu pèlerinage sur le plateau des Glières ci-contre) et l'agitation sans lendemain. Facultative en 2009, la lecture de Guy Môquet n'a fait cette année l'objet d'aucune instruction officielle. Les protestations des historiens soulignant qu'il avait été fusillé comme otage, et non comme résistant, n'y sont sans doute pas pour rien.

Car tandis que l'exploitation politicienne du souvenir de la Résistance fait rage, les historiens travaillent. Des thèses sont soutenues, des livres paraissent, des colloques sont organisés. Les premiers pas de la Résistance à l'automne 1940, longtemps négligés par les chercheurs, sont ainsi de mieux en mieux connus.

Tour d'horizon en trois volets des plus récents travaux sur ces pionniers de la Résistance qui initièrent, il y a tout juste soixante-dix ans, la lutte contre un occupant qui semblait invincible.

Résistance: les grandes lettres du titre sont tracées à la main, presque maladroitement. En dessous, la mention «n°1», et une date «15 décembre 1940». C'est donc qu'il y aura un numéro 2, puis d'autres encore. C'est donc que ces deux feuillets dactylographiés ne sont pas un tract, mais un journal. Et que le «Comité national du salut public» qui le signe continuera à «Résister!», cinglant incipit de l'éditorial.

 Résistance n'est ni le seul, ni le premier, des journaux clandestins à paraître en France après l'effondrement de juin 1940 et le début de l'occupation allemande de trois cinquièmes du pays. Mais par son titre, il lance un mot, une idée, un mouvement qui gagnera bientôt une majuscule et symbolise toujours, soixante-dix ans plus tard, le refus d'un ordre semblant inéluctable et l'impératif de le combattre. Alors que Londres brûlait sous les bombes allemandes, que le Reich nazi contrôlait l'Europe de Varsovie à Brest, que l'URSS et les Etats-Unis se tenaient hors de la guerre, que l'opinion française soutenait massivement le régime du maréchal Pétain tandis que l'autorité du général de Gaulle, à la tête de tout juste 6.000 hommes, n'était reconnue que de l'Afrique équatoriale française, qui étaient ces Résistants de la Noël 40 initiant la lutte contre un occupant qui paraissait invincible? 

Agir, une nécessité vitale

 «L'histoire des débuts de la Résistance est longtemps restée très mal connue, explique l'historien Laurent Douzou, pour deux raisons. La première est que nombre de pionniers ont été arrêtés très tôt et n'ont pas survécu à la guerre: ils n'ont donc pu témoigner sur leur action. La seconde est que les dirigeants de grands mouvements de résistance ont souvent eu tendance à passer sous silence les tâtonnements, les atermoiements et les échecs de leurs débuts pour insister sur les succès de leur action, d'une toute autre ampleur, durant les années 42-44». Plusieurs travaux menés ces cinq dernières années ont commencé à combler ce vide historiographique. En 2006, le Dictionnaire historique de la Résistance (Robert Laffont/Bouquins, 2006), ouvrage collectif riche de plus de mille entrées, a publié les premiers articles sur des noyaux de résistance actifs dès 1940, souvent oubliés même des spécialistes.

Le plus important d'entre eux, connu sous le nom de "réseau du musée de l'Homme", a ensuite été le sujet coup sur coup de deux livres: Des savants dans la Résistance de Anne Hogenhuis (Editions du CNRS, 2009) et Au commencement de la Résistance de Julien Blanc (Le Seuil, 2010). Enfin, plusieurs journaux, carnets intimes ou correspondances de pionniers de la Résistance ont été récemment édités ou réédités (Journal de guerre 1940-41 de Valentin Feldman, Farrago, 2006; Notre guerre de Agnès Humbert, Tallandier, 2004 ; L'histoire, la guerre, la Résistance de Marc Bloch, Gallimard, 2006, Français en résistance, édité par Guillaume Piketty, Robert Laffont/Bouquins, 2009), donnant à voir ce que pouvaient être leurs pensées, leurs espoirs et leurs craintes.

Cette effervescence éditoriale s'inscrit dans un contexte politique où s'exprime un intérêt nouveau pour ce qui fut le geste initial des pionniers de la Résistance: la «désobéissance», pour reprendre le titre du livre de Laurent Douzou (Odile Jacob, 1995) sur le mouvement Libération-Sud, dans lequel s'illustrèrent notamment les époux Aubrac.

Parmi ces pionniers, certains étaient même favorables au régime de Vichy, rappelle Johanna Barasz, historienne, auteur de la première thèse sur les vichysto-résistants:  

 

Des faucheurs d'OGM aux détracteurs des réformes scolaires de l'actuel gouvernement, des opposants au fichage biométrique aux défenseurs des sans-papiers, on ne compte plus les appels à la désobéissance, le plus souvent qualifiée de «civique», et à l'entrée en résistance. Grandiloquence anachronique? Sans doute. Mais chaque époque n'a cessé de transposer, avec plus ou moins de bonheur, sur la Résistance ses propres préoccupations. Les «désobéissants» de 2010 n'y font pas exception. Ils peuvent du reste se prévaloir du parrainage moral de pionniers de la Résistance désireux de relier combats d'hier et d'aujourd'hui. Dans Indignez-vous, paru en octobre dernier chez Indigène Editions, Stéphane Hessel, qui rejoint le général de Gaulle à Londres en mars 1941, apporte ainsi son soutien aux enseignants «désobéissants» au nom des valeurs du Conseil national de la Résistance. Le spectaculaire succès de cet opuscule –300.000 exemplaires vendus en trois mois– témoigne de l'importance de ces questions que notre présent adresse au passé, et en l'occurrence aux pionniers de la Résistance: pourquoi avez-vous désobéi? Au nom de quoi avez-vous enfreint la loi? Comment avez-vous fait pour refuser une situation qui semblait inéluctable?

Ces questions, les pionniers de la Résistance ne se les posaient guère tant agir contre l'occupant relevait pour eux de la nécessité vitale. A lire leurs écrits de l'été 1940, on est frappé de voir à quel point ils sont littéralement malades de l'humiliation de la défaite française. Les futurs animateurs du réseau du musée de l'Homme en donnent des exemples frappants. Lorsqu'elle apprend l'Armistice du 25 juin 1940, Germaine Tillion vomit et «souffre d'une douleur insupportable» dans les jours qui suivent. La première fois qu'il voit des soldats allemands dans Paris, Boris Vildé éprouve «une douleur physique au cœur». «Je me sens devenir folle au sens physiologique du mot», note Agnès Humbert dans son journal le 6 août 1940, rapportant une conversation avec son ami Jean Cassou qu'elle a trouvé «vieilli, tassé», et dont les cheveux ont blanchi en six semaines. «Pour la santé mentale, on lutte âprement», écrit encore Agnès Humbert à un ami le 6 septembre 1940. A la même époque, Pierre Brossolette sombre dans la dépression, envahi par «un cafard» auquel il écrivait quelques mois avant être totalement réfractaire.

  • Naissance du mot "Résistance"

Par ces maux du corps, ces refus instinctifs, ces révoltes somatiques, s'exprime ce patriotisme viscéral que tous les pionniers ont décrit comme le premier motif de leur engagement. «Perçue comme un corps étranger qu'il faut de toute urgence expulser pour pouvoir simplement survivre, la présence allemande constitue une réalité avec laquelle il est rigoureusement impossible de composer. Donnée centrale de l'engagement résistant, la référence au patriotisme n'est pas seulement formulée après coup. A l'aube de l'épreuve, l'argument est maintes fois avancé » relève l'historien Julien Blanc.

C'est donc dans cette histoire de France que la IIIe République enseignait comme une école du patriotisme que les pionniers vont chercher des références propres à fonder leur lutte. A commencer par le terme de «résistance».

Dans la langue d'avant 1940, il relevait plus du registre de l'électricité que de l'engagement. Mais Yvonne Oddon, bibliothécaire du musée de l'Homme, se souvenait qu'une protestante enfermée après la révocation de l'édit de Nantes avait gravé sur les murs de sa cellule «resistere». C'est ainsi que Résistance devint le titre du journal édité par le groupe auquel elle appartenait. D'autres figures et évènements de la mémoire nationale sont mobilisés. Jeanne d'Arc, Charles Martel et le chevalier Bayard des guerres d'Italie incarnent aux yeux du mouvement de Libération Nationale créé à Marseille à l'été 1940 par Henri Frenay, «la France insoumise».

Les rédacteurs de Valmy, journal clandestin de zone nord, préfèrent, comme ceux de Résistance, se référer à la Révolution. «En 1789, le mot patriote était inséparable de la notion de lutte révolutionnaire contre les suppôts de la féodalité: en 1940, le mot patriote est inséparable de la notion de lutte révolutionnaire contre les suppôts du régime capitaliste», écrit de son côté L'Humanité le 30 novembre 1940. De la droite la plus nationaliste à la gauche la plus internationaliste, tous se retrouvent derrière un patriotisme qui «est non seulement le plus grand dénominateur commun, mais encore le creuset dans lequel viennent se fondre toutes les autres valeurs, ou presque», comme l'observe l'historien François Marcot.

Cette omniprésence n'est cependant pas sans poser des difficultés d'interprétation aux historiens, explique Julien Blanc, historien, auteur de Au commencement de la Résistance. Du côté du musée de l'Homme 1940-1941 (Le Seuil, 2010)

Si le patriotisme était ce sentiment si consensuel dans la France de 1940, qu'est-ce qui distinguait l'extrême minorité des pionniers de la Résistance de la masse de leurs compatriotes? Après tout, le régime de Vichy se revendiquait lui aussi de l'amour de la France et de l'impératif de son redressement. Peut-on dès lors se contenter des écrits et des dires des pionniers de la Résistance pour tenter de comprendre les valeurs sur lesquelles ils fondaient leur refus initial de l'Occupation?

Fabienne Federini a tenté dans un livre paru en 2006 (Des intellectuels prennent les armes, La Découverte) d'aborder frontalement cette question grâce aux outils de la sociologie.

Son approche? D'abord sélectionner une cohorte de quelque 150 pionniers de la Résistance; puis collecter le maximum d'informations sur leurs biographies et leurs engagements politiques antérieurs à la guerre. Ses conclusions sont particulièrement nettes: 62% de moins de 40 ans; 75% ayant un niveau d'étude supérieur à la licence; 81% se revendiquant de la gauche, dans toutes ses composantes; 87% à avoir refusé les accords de Munich et 61% à avoir participé (en adhérant à des associations, en soutenant les Républicains espagnols, en aidant aux réfugiés allemands et autrichiens) aux mobilisations antifascistes des années 1930. En d'autres termes, le profil type du pionnier de la Résistance est un intellectuel encore jeune, de gauche, socialement bien inséré, et qui s'est mobilisé avant guerre contre la montée du fascisme. Conclusion de la chercheuse: «la Résistance a réuni dans un même combat des hommes et des femmes ayant adopté durant les années 1936-1939 des attitudes sinon identiques du moins similaires face aux événements politiques nationaux et internationaux. On peut dire que la résistance commence bien avant 1940. Il semble même que la chose existe avant le mot».

  • Le basculement dans la désobéissance

Hormis le jeune âge, retrouvé dans toutes les sociologies des mouvements de résistance, ces conclusions frappantes sont loin de faire consensus. Même les historiens les plus sensibles à la démarche sociologique, tout en reconnaissant l'intérêt du travail, expriment des réserves. «L'échantillon étudié par Fabienne Federini est composé de pionniers connus des historiens de la Résistance. Pour reprendre un terme à la mode, il représente surtout la "résistance d'en haut". La forte représentation des intellectuels traduit ainsi le fait qu'ils ont occupé des positions de direction, plus visibles, au sein des organisations de résistance. Si l'on pouvait prendre en compte les anonymes, les militants de base, dont l'action n'a souvent pas laissé de trace, on aboutirait sans doute à des conclusions fort différentes», observe l'historienne Jacqueline Sainclivier qui cite en exemple de "la résistance d'en bas" les cheminots aidant au passage de la ligne de démarcation ou les infirmières de la Croix Rouge aidant à l'évasion de prisonniers.

La plupart des historiens soulignent que dresser un profil type du pionnier de la Résistance n'a guère de sens, tant les trajectoires humaines, avec leurs contingences et leurs aléas, ne peuvent se laisser enfermer dans des statistiques. A la tête d'un des groupes constituant le réseau du musée de l'Homme, on trouve ainsi un duo constitué d'une ethnologue de 33 ans –Germaine Tillion– et d'un colonel à la retraite de 73 ans –Paul Hauet. «Deux personnes, aussi dissemblables qu'il est possible de l'être, qui n'avaient aucune chance de se rencontrer dans une vie normale», observe Julien Blanc.

La rose et le réséda/ Celui qui croyait au ciel et celui qui n'y croyait pas : Aragon, dans ces vers de mars 1943, a chanté cette union dans la clandestinité d'hommes et de femmes que tout séparait. Faut-il pour autant renoncer à leur trouver des points communs? En déplaçant son enquête du terrain des engagements politiques à celui des itinéraires familiaux, Fabienne Federini a découvert que 110 de ses 155 pionniers avaient connu, quand éclate la guerre, des «expériences intimes de rupture et de déracinement» qu'elle voit comme des explications «au basculement dans la désobéissance». Des exilés, tels Boris Vildé, Anatole Lewitsky ou Valentin Feldman, tous trois fusillés en 1942, tous trois nés en Russie et naturalisés français à la fin des années 1930. Des hommes en rupture avec leur milieu familial, tels Henri Frenay, Emmanuel d'Astier de la Vigerie ou Christian Pineau, respectivement fondateurs de ces grands mouvements de résistance que furent Combat, Libération-Sud et Libération-Nord. Tous trois sont issus de familles de militaires, conservatrices et catholiques.

Mais le premier, tout en étant officier d'active, a pour compagne Berty Albrecht, divorcée, protestante, de gauche et de dix ans son aînée; le second a démissionné de ses fonctions d'officier de marine pour se lancer dans le journalisme tout en s'adonnant à l'opium; et le troisième est tenu par sa famille pour un traître depuis qu'il milite activement à la CGT. Des «transfuges de classe», tel Gabriel Cochet, général sorti du rang après avoir été obligé d'interrompre ses études secondaires faute de bourse. Ou encore Germaine Tillion qui a passé dans les années 1930 six ans à vivre dans l'extrême dénuement des Aurès où l'ethnologue étudiait les Berbères chaouïas dont elle partageait la vie. Ou encore Paul Hauet, militaire de carrière quittant l'armée en 1902 pour mener une vie aventureuse, tour à tour mercenaire, docker et dessinateur industriel, en Amérique du Sud.

Bref, des «militaires atypiques» précise Johanna Barasz 

 

 

«Ce n'est pas la résistance qui crée la rupture sociale, mais ce sont des acteurs eux-mêmes en rupture avec leur milieu familial, eux-mêmes en marge de leur groupe social d'origine, qui créent la résistance», conclut Fabienne Federini.

On ne naît pas résistant; on ne le devient pas; on l'était déjà avant que la guerre n'éclate. Telle est en substance la conclusion de cette première sociologie des pionniers de la Résistance. Mais si résister c'est «surtout agir, faire quelque chose qui se traduise en faits positifs, en actes raisonnés et utiles», comme le dit l'éditorial du numéro 1 de Résistance, quels peuvent en être les moyens?

Suite au second volet de notre enquête.

 

Nicolas Chevassus-au-Louis, est journaliste scientifique et auteur de plusieurs livres dont Savant sous l'occupation. Enquête sur la vie scientifique française entre 1940 et 1944 (Le Seuil, 2004). Il a réalisé cet été pour Mediapart, une série sur ce que la biologie dit de l'identité dont on peut retrouver ici les cinq volets.

Sophie Dufau l'a accompagné pour les entretiens vidéo insérés dans les articles et dont vous pourrez retrouver l'intégralité sous l'onglet Prolonger des articles.

 

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17 décembre 2010 5 17 /12 /décembre /2010 17:48

napoleoniii1.1226157973.jpgDiscours de Bordeaux, 9 octobre 1852

"Aujourd'hui, la France m'entoure de ses sympathies, parce que je ne suis pas de la famille des idéologues. Pour faire le bien du pays, il n'est pas besoin d'appliquer de nouveaux systèmes; mais de donner, avant tout, confiance dans le présent, sécurité dans l'avenir. Voilà pourquoi la France semble vouloir revenir à l'Empire

Il est néanmoins une crainte à laquelle je dois répondre. Par esprit de défiance, certaines personnes se disent : l'Empire, c'est la guerre. Moi je dis : l'Empire, c'est la paix.

C'est la paix, car la France le désire, et lorsque la France est satisfaite, le monde est tranquille. […]

Je veux conquérir à la religion, à la morale, à l'aisance, cette partie encore si nombreuse de la population qui, au milieu d'un pays de foi et de croyance, connaît à peine les préceptes du Christ; qui, au sein de la terre la plus fertile du monde, peut à peine jouir de ses produits de première nécessité.

Nous avons d'immenses territoires incultes à défricher, des routes à ouvrir, des ports à creuser, des rivières à rendre navigables, des canaux à terminer, notre réseau de chemin de fer à compléter. Nous avons, en face de Marseille, un vaste royaume à assimiler à la France. Nous avons tous nos grands ports de l'ouest à rapprocher du continent américain par la rapidité de ces communications qui nous manquent encore. Nous avons partout enfin des ruines à relever, de faux dieux à abattre, des vérités à faire triompher.

Voilà comment je comprendrais l'empire, si l'empire doit se rétablir. Telles sont les conquêtes que je médite, et vous tous qui m'entourez, qui voulez, comme moi, le bien de notre patrie, vous êtes mes soldats. "

Le Moniteur universel, 12 octobre 1852

 

 

 

Honoré Daumier, L'Empire c'est la paix.

Daulier-L-Empire-c-est-la-paix.jpg

Planche n° 232 de la série Actualités 1870. Lithographie,.  Publiée dans Le Charivari, le 19 octobre 1870. BnF.

La légende fait allusion à une phrase prononcée par Napoléon III, dans un discours prononcé à Bordeaux, le 9 octobre 1852, et reprise par Victor Hugo dans Les Châtiments : "O morts, l'herbe sans bruit croît sur vos catacombes. / Dormez dans vos cercueils ! Taisez-vous dans vos tombes ! / L'empire c'est la paix." Cette antiphrase accompagne la vision désolée de ruines encore fumantes d'un paysage dévasté où gisent deux cadavres, bilan apocalyptique de l'Empire après Sedan.

 

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21 novembre 2010 7 21 /11 /novembre /2010 18:02

lar4_biard_001z.jpgTitre : L'abolition de l'esclavage dans les colonies françaises (27 Avril 1848).

Auteur :
François BIARD (1798-1882)

Date de création : 1849
Date représentée : 27 avril 1848

 

1848, l'abolition de l'esclavage

Affirmant l’égalité entre les hommes et leur droit naturel à la liberté, les philosophes du XVIIIe siècle engagent un débat sur la légitimité de l’esclavage. Des révoltes violentes, en 1791 à Saint-Domingue, provoquent une première prise de conscience. Pendant la Révolution française, en 1794, une première abolition de l’esclavage des Nègres dans les colonies est tentée, mais Bonaparte, sous la pression des planteurs antillais, le rétablit en 1802. Victor Schoelcher (1804-1893), sous-secrétaire d’Etat à la Marine en 1848, choqué par les horreurs du système esclavagiste, a consacré sa vie à la lutte pour l’émancipation. La République lui offre l’occasion de rendre effective et immédiate la liberté de tous les esclaves des colonies et des possessions françaises (décret d’abolition 27 avril 1848).

 

 

L'émancipation immédiate

Le tableau de Biard représente une scène d’émancipation dans les colonies, au moment de la proclamation de l’abolition de l’esclavage. Au centre, deux esclaves noirs manifestent leur joie, bras levés et chaînes déliées. D’autres, agenouillés, semblent bénir le député chargé de l’annonce, planté sur son estrade, représentant de la République qui vient d’adopter le décret dont il tient le texte en main. La ligne de fuite qu’indique son bras levé s’évanouit dans le drapeau bleu blanc rouge, confirmation de la présence symbolique de la République française. Sur sa gauche, des mousses rappellent la présence de la Marine comme force armée dans les îles. Sur la droite du tableau, c’est la société coloniale qui apparaît, toute de blanc vêtue, recevant dignement les remerciements d’une ancienne esclave agenouillée. Ombrelle, étoffes blanches et luxueuses et canotier s’opposent à la semi-nudité des esclaves, dont les corps noirs enchevêtrés forment une masse compacte. A l’arrière plan, une représentation typique des îles exotiques, avec cocotiers, plaines de culture et montagnes arides, suffit à évoquer n'importe quelle île à sucre.

Le tableau de Biard s’inscrit dans l’imagerie coloniale officielle. L’abolition de l'esclavage est une fête ou seule l’allégresse et la joie domine. L’image de l'harmonie entre les deux communautés, toujours différentes mais se mêlant dans l’effusion, correspond à l’écho qu’a voulu donner la République de son acte. 

 

 

L’utopie quarante-huitarde

La France n’innovait pas en la matière, puisque l’Angleterre, dès 1808, avait aboli la traite des noirs et incité de nombreux pays européens à faire de même. Mais le tableau rend bien l’utopie quarante-huitarde, forte de l’universalité de ses principes et encline à faire participer les colonies à la grande messe républicaine. L’abolition de l’esclavage est certes un pas immense dans la lente acquisition des libertés, que l’art se doit de célébrer, mais le tableau de Biard dit aussi le siècle des puissances impériales triomphantes, sûres de leur légitimité et de leur bienveillance à l’égard des peuples colonisés.

L’utopie quarante-huitarde

La France n’innovait pas en la matière, puisque l’Angleterre, dès 1808, avait aboli la traite des noirs et incité de nombreux pays européens à faire de même. Mais le tableau rend bien l’utopie quarante-huitarde, forte de l’universalité de ses principes et encline à faire participer les colonies à la grande messe républicaine. L’abolition de l’esclavage est certes un pas immense dans la lente acquisition des libertés, que l’art se doit de célébrer, mais le tableau de Biard dit aussi le siècle des puissances impériales triomphantes, sûres de leur légitimité et de leur bienveillance à l’égard des peuples colonisés.

 

Auteur : Mathilde LARRÈRE. L'Histoire par l'Image.

 

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4 mai 2010 2 04 /05 /mai /2010 17:16

cgt-affiche-1936.jpgFace au chaos économique la CG.T proclame l’urgence d'assurer la justice sociale dans la souveraineté du Travail

 

 AU PEUPLE !

 

 La Confédération générale du Travail considère que les circonstances imposent avec force un examen rigoureux et sévère de la situation créée au pays par d’impuissantes politiques devant les problèmes d’après guerre.

 Un chômage, total pour les uns, partiel pour les autres, frappe les travailleurs et s’accompagne de massives réductions de salaires.

 Toute la jeune génération, impatiente de travail et d’activité, trouve devant elle toutes les portes closes.

 Les petits commerçants sont conduits à la faillite par la paralysie des affaires, le poids de la fiscalité et la charge insupportable des baux et des engagements souscrits à une période de facilité.

 Les agriculteurs sont menacés, par la baisse des denrées agricoles et la mévente, d’un retour à la misérable condition qu’ils connaissaient avant guerre.

Les épargnants restent soumis à l’odieux trafic des banquiers sans scrupule et des affairistes qui, par leurs spéculations et leurs escroqueries impunies, s’approprient le fruit de leur travail.

Il résulte déjà de cette situation un avilissement croissant de la condition matérielle et morale des travailleurs intellectuels et manuels et, plus généralement, de toute la partie réellement active du pays. Le pouvoir d’achat des masses consommatrices va diminuant sans cesse.

Le cataclysme économique engendre nécessairement une crise budgétaire et sociale.

La crise budgétaire et sociale ouvre la crise politique, qui se traduit par l'impuissance des formations politiques.

Enfin, la crise politique, avec son cortège de démoralisation, de scandales, de corruption, ouvre la voie à la crise de régime.

Jusqu’à ce jour, qu’a-t-on fait dans notre pays pour redresser cette situation ?

Rien, parce que la Banque interdit toute action qui ne correspond pas à son intérêt propre, parce que certaine presse, instrument de soutien des grands privilèges que détiennent banques et congrégations économiques, abdique son rôle d'information véridique.

Les privilégiés exploitent les inquiétudes et les colères justifiées de l’opinion pour détourner les aspirations populaires qui exigent que toutes dispositions soient prises sans délai poucombattre les conséquences meurtrières de la crise dans le respect des libertés publiques, de la démocratie, du progrès et de la justice sociale.

La CGT déclare que, pour triompher de ses ennemis, la démocratie doit agir sans délai. Elle doit rénover ses méthodes et ses mœurs pour enlever aux factieux tout espoir d’instaurer la sauvagerie du fascisme et de l’hitlérisme dans notre pays.

Elle doit provoquer un renversement complet de la situation économique par une série de réformes conduites sans faiblesse et sans peur de porter atteinte aux privilèges sociaux.

L’État ne doit pas servir à renflouer les banqueroutiers et à combler les déficits des grandes entreprises dont- les filiales enrichissent les administrateurs incapables,

Les pouvoirs publics ont un devoir : administrer la chose publique pour satisfaire à l’intérêt collectif.

La CGT déclare que l’action rénovatrice pour lutter contre les intérêts particuliers et faire prédominer l’intérêt de la collectivité doit comporter les premières mesures ci-après :

Remploi des chômeurs par la réduction du temps de travail;

Stimulation de l’activité industrielle par la mise en œuvre de grands travaux d’intérêt public; 

 Institution de salaires minima par industries;

Fixation de prix rémunérateurs pour les produits agricoles;

Nationalisation du crédit et contrôle des banques;

Contrôle effectif immédiat des industries-clés par les représentants de la collectivité et des salariés;

Introduction dans les rouages constitutionnels d’un organisme économique doté de pouvoirs lui permettant de coordonner la production et la consommation et de contrôler les différentes activités économiques;

Réforme administrative et fiscale.

On ne sortira du chaos actuel que par la renaissance de la confiance dans le travail.

La démocratie ne doit plus être un règne d’une oligarchie ploutocratique. Elle ne doit plus être asservie y ou menacée par les grands intérêts particuliers. Sa raison d'être est la justice sociale.

Aux travailleurs, au peuple tout entier, la Confédération générale du Travail demande d’appuyer ce programme de défense active de la liberté et de rénovation économique, et de l’aider à le réaliser.

 

La CONFÉDÉRATION GÉNÉRALEDU TRAVAIL.

 

Texte adopté par le Comité confédéral national, 20 et 21 février 1934.

Source: Le Travail parisien,journal de l'Union CGT de la Seine janvier-février-mars 1934, p. 918.

 

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