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Note de lecture

Jean-Clément Martin, Violence et révolution. Essai sur la naissance d’un mythe national, Seuil, L’Univers historique, 2006, 338 pages.

Dans notre imaginaire, la Révolution française est associée à une série d’épisodes marqués par la violence. La p
rise de la Bastille, les massacres de Septembre ou la guerre de Vendée en sont quelques exemples, mais ce sont la Terreur et la guillotine qui symbolisent le mieux l’association entre violence et Révolution [Daniel Arasse, La guillotine et l'imaginaire de la Terreur, Flammarion, 1992, 213 pages].

L’enseignement de la Révolution française pose inévitablement la question de la place de la violence. De manière paradoxale, voire contradictoire, ce chapitre des programmes est enseigné dans une perspective positive, puisqu’il correspond à une période fondatrice de la république et de la démocratie en France, alors que la violence est omniprésente. L’iconographie comme les textes proposés par les manuels scolaires abonde en images, mots ou métaphores  dans lesquels la violence est constamment en arrière-plan quand elle ne s’étale pas de manière univoque.

Quel statut donné à cette violence ? Comment lui donner un sens pour les élèves en évitant plusieurs écueils : la rationalisation conduisant à éluder sa place ; dissocier de manière artificielle bonne et mauvaise violence (14 juillet versus Terreur) ; l’association simpliste entre Terreur et violence ou Révolution et violence.

Dans l’historiographie, comme dans les représentations collectives, deux thèses se sont affrontées. La thèse la plus répandue consiste à analyser la violence comme organisée et diffusée par un pouvoir central monopolisé par un groupe de révolutionnaires incarnés par Robespierre. Cette interprétation remonte aux écrits d’Edmond Burke [Réflexions sur la Révolution de France, 1790] et de Jospeh de Maistre [Considérations sur la France,  1796]. Toute une historiographie s’en est inspirée jusqu’à récemment [Patrice  Gueniffey   La Politique de la Terreur - Essai sur la violence révolutionnaire, 1789-1794, Gallimard, Tel, 2003, 376 pages]. La thèse adverse, « républicaine » pour faire vite,  a consisté à expliquer la violence comme purement contingente, s’imposant en quelques sorte aux acteurs en raison d’un contexte particulier, la fameuse année terrible de 1793.

L’entreprise de Jean-Clément Martin consiste à se tenir à l’écart de ces deux thèses en revenant aux faits, c’est-à-dire aux individus placés dans des mécanismes politiques, sociaux et culturels permettant de rendre compte de la multiplicité et de la diversité des formes de violence. C’est en termes de la politisation de la violence que Jean-Claude Martin s’attache à analyser cette décennie révolutionnaire. Dans cette démarche, il associe de multiples dimensions, tenant compte à la fois des héritages locaux, de la polarisation des identités de groupe, politiques et sociaux, et les enjeux internationaux.  Dans ce cadre, la violence révolutionnaire serait l’effet de l’irruption  de la question politique dans une société traversée par de nombreuses tensions et divisions. Selon J-C Martin, la politisation de la violence peut être analysée en quatre moments clés.

1. Le premier moment de cette histoire est d’abord l’héritage de l’Ancien Régime. Héritage d’un temps long, celui d’une violence monarchique qui expose et marque les corps des suppliciés, mais aussi d’une violence ordinaire omniprésente. L’histoire sociale et l’histoire cultuelle sont convoquées pour souligner la dimension anthropologique de formes de violence brutales exercées contre le corps de l’ennemi qui caractérisent la violence populaire spontanée de la période révolutionnaire. Daniel Roche avait posé les bases d’une approche de la violence « vue d’en bas » et accordant toute sa place aux structures mentales et anthropologiques [Daniel Roche, « La violence vue d'en bas. Réflexions sur les moyens de la politique en période révolutionnaire », Annales, 1989, n° 1, p. 47-65]. Mais ce qui se joue, c’est le télescopage entre ces formes de violence et l’éclatement des cadres politiques, sociaux et culturelles de la fin du XVIIIè siècle. En 1788-1789,  l’État monarchique implose face à des oppositions multiples (des élites au petit peuple), ouvrant sur la politisation de la violence.

La radicalité de l’expérience révolutionnaire tient dans l’intervention du peuple qui devient arbitre des conflits au sein des élites, puis acteur lui-même poursuivant des objectifs propres. La notion de peuple doit être restituée dans toute sa complexité : à l’autonomie des paysanneries s’ajoutent la diversité sociale et politique du petit peuple urbain et la diversité des situations politiques locales.

2. Un second moment s’ouvre avec la dynamique révolutionnaire : « la violence acceptée » de la prise de la Bastille crée une nouvelle configuration politique. Celle-ci s’organise à partir de l’entrée en politique des populations urbaines et rurales : «  L’intervention inattendue du peuple autour des patriotes a fait basculer les équilibres : leur victoire est dorénavant liée à l’insurrection populaire, inaugurant pour longtemps ce qui sera considéré comme le propre même de la Révolution française » [J-C Martin, p. 60 et p. 66]. Cet épisode suivi par d’autres comme les émeutes paysannes est une des étapes par laquelle la violence acquière une autonomie. Elle devient d’autant plus rapidement un mode de régulation politique que les structures politiques et administratives centralisées s’effondrent au profit d’une forte décentralisation. Le nouveau pouvoir qui tente de s’imposer est concurrencé par d’autres et n’a pas les moyens politiques de contrôler la violence qui se diffuse. Le vide politique laissé par l’effondrement du pouvoir royal est rapidement investi par de nouveaux acteurs : masses urbaines et rurales ; militants des clubs ; presse révolutionnaire ; personnel politique de l’Assemblée.

3. La recherche des alliances populaires institue une rivalité au sein de la Convention, la conduisant à adopter en partie le programme des groupes les plus radicaux.  L’« alliance tactique » nouée entre la Montagne et la Plaine d’un côté, et le peuple de l’autre marque l’année 1793. Les dirigeants de la Convention «détournent à leur profit les revendications sectionnaires de Paris, et réussirent à incarner une ligne politique qui réforme le pays en mêlant inextricablement les violences les plus effrayantes aux mesures les plus salutaires » [J-C Martin, p. 157]. L’enjeu est bien de « contrôler la violence » et de «  contrôler l’État ». A cet égard, le printemps 1794 constitue un  tournant capital : le comité de salut public impose son autorité, et celui de la Convention, entendue à la fois comme seule instance politique légitime et seule origine de la loi [J-C Martin, p. 213-200]. Ainsi, la montée en puissance du Comité de salut public face au mouvement populaire sans-culotte marque-t-elle l’institution d’un État détenteur du monopole de la violence. Les élites politiques issues du jacobinisme qui ont toujours été attachées à la démocratie représentative parviennent enfin à imposer leur contrôle le pouvoir politique [J-C Martin, p. 218] C’est dans ce nouvel équilibre politique que la chute de Robespierre prend tout son sens. « Hors de toute préoccupation apologétique ou partisane, il serait opportun de le [Robespierre] considérer comme celui qui aura voulu arrêter la violence révolutionnaire décentralisée à partir du printemps 1794. Il a été victime des compromis qu’il avait noués, victorieusement jusque-là, avec des hommes ambitieux, cyniques ou simplement réalistes, pour conduire la Révolution en fonction de ses idées. Il a rejoint alors tous ceux qu’il avait laissé condamner dans la recherche continuelle de légitimité nationale. Par l’efficacité de son discoures, il avait contribué à asseoir l’autorité d’une Assemblée jugée dépositaire de la souveraineté et du pouvoir, contre les prétentions de toutes les autres sources potentielles de souveraineté nées de l’emploi de la violence. En rassemblant au terme de ces années tout le contrôle de la violence dans les mains des membres des Comités, il avait mis fin à la concurrence des légitimités. Ce faisant il a fait craindre un redoublement de violences rendu possible par la concentration des pouvoirs dans ses propres mains et celle d’un petit groupe » [J-C Martin, p. 233].

4. Après Thermidor, le personnel politique, de plus en plus « professionnalisé », achève de marginaliser le mouvement populaire (journées de prairial, 1795), les militants politiques comme la menace royaliste par une « gestion politique de l’État » [J-C Martin, p. 308].  L’an III (1795 constitue ainsi un tournant débouchant sur un nouveau pouvoir, à la fois autoritaire et républicain. Le 9 thermidor est en effet le premier coup d’État sans recours au peuple [J-C Martin, p.241]. D’autres suivent : le 18 fructidor an V ; les deux coups d’État de 1799. La violence est monopolisée par un État qui en fait un large usage mais sous une forme policière et contrôlée. La répression politique contre les néo-jacobins et contre les royalistes reprend les méthodes de l’an II, et parfois sur une grande échelle. Les campagnes militaires mobilisent un nationalisme de plus en plus marqué et se transforment en guerres de conquête et de pillage, conduisant à la répression féroce des soulèvements hostiles aux Français.  L’armée devient une force politique qui compte de plus en plus. Si le flot des violences populaires est finalement endigué, les ressorts de leur déchaînement persistent mais sont détournés vers d’autres objectifs, notamment extérieurs.

Sur la question de la violence révolutionnaire, consulter également:

A. Soboul, « Violence collective et rapports sociaux. Les foules révolutionnaires, 1789-1795 »,  La Révolution française, Gallimard, Tel, 1984, p. 563-582.

A. Soboul, Les Sans-culottes parisiens en l'an II : Mouvement populaire et gouvernement révolutionnaire 1793-1794, Seuil, 1968, 256 pages. (La violence, p. 155)



Proposition de séquence : Le rôle du peuple dans la révolution : les journées du 4 et 5 septembre 1793.

 

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