Eric Hobsbawm à l'âge des incertitudes
Par Sylvain Bourmeau. Mediapart.fr.
C'est au tout début des années 30, alors lycéen à Berlin, qu'Eric Hobsbawm est entré en histoire. Témoin de la Grande Crise et
de l'arrivée au pouvoir de Hitler, il découvrira, adolescent, avec ses deux événements mais aussi la lecture du Manifeste du Parti communiste, sa vocation
d'historien.
Quatre-vingts ans plus tard, alors que nous
vivons une deuxième Grande Crise, il est souvent présenté, dans le monde anglo-saxon, comme le plus grand historien vivant, sans qu'il soit toujours besoin de préciser «marxiste» – ce qu'il
revendique encore fièrement.
Né en 1917 à Alexandrie, d'un père britannique et d'une mère
autrichienne, deux citoyens juifs de pays en guerre lorsqu'ils se sont rencontrés, Eric Hobsbawm a grandi à Vienne puis à Berlin avant, suite à la mort de ses parents, d'émigrer à Londres à l'âge
de quinze ans.
Etudiant communiste à Cambridge avant guerre (il ne quittera le PC britannique que quelques mois avant son auto-dissolution... en 1991), il y soutient une thèse sur l'histoire de la Fabian
Society avant d'enseigner toute sa carrière à l'université de Londres ainsi qu'à la New School for Social Research de New York.
Outre les très nombreux articles donnés à des revues ou des journaux, y compris, sous pseudonyme ses chroniques de jazz pour le New Statesman
ou The Nation,
Eric Hobsbawm aura, en fait, publié deux types assez différents de travaux historiques. D'un côté, des études précises sur les modes de contestation (luddisme, banditisme social...) dans la
lignée de ce que défend Past and Present, la revue qu'il a fondée avec deux autres très
grands historiens britanniques, E. P. Thompson et Christopher
Hill. De l'autre, de grandes synthèses, des livres qui
l'ont rendu célèbre bien au-delà du cercle des historiens professionnels: trois volumes pour couvrir ce qu'il a appelé « le long dix-neuvième siècle » (L'Ere des révolutions 1789-1848,
L'Ere du capital 1848-1875, L'Ere des empires 1875-1914) et un autre, véritable best-seller mondial, pour traiter du «court vingtième siècle» (L'Age des extrêmes
1914-1991).
Alors que viennent de paraître en français deux recueils de ses articles (l'un sur L'Empire, la démocratie et le terrorisme et l'autre sur Marx & l'histoire), Eric Hobsbawm analyse dans un entretien vidéo pour Mediapart la crise du capitalisme, la compare à celle qu'il a connue
dans les années 30, s'inquiète de l'état de la gauche et des atteintes répétées aux libertés publiques depuis le 11 Septembre. Intellectuel européen (outre l'anglais, il parle couramment le
français, l'allemand, l'italien et l'espagnol, et lit le néerlandais, le portugais et le catalan), il analyse aussi l'incapacité de l'Europe à s'inventer une tradition, comme l'avait auparavant
réussi tous les grands Etats-nations.
Entretien vidéo pages suivantes
- Comment voyez-vous le début de ce XXIe siècle qui a, selon vous, commencé en 1991 avec l'éclatement de l'URSS ?
Après ceux de la révolution, du capital, de l'empire puis des extrêmes, dans quel âge sommes-nous cette fois entrés ?
- Vous avez depuis longtemps travaillé sur les modes de protestation, en particulier sur le banditisme social. La
crise actuelle peut-elle favoriser le retour de ce type de mobilisations politiques ?
- Nous sommes à la veille d'élections européennes, quel regard portez-vous sur cet espace politique qui peine à
exister ?
- Avant la crise actuelle, l'autre événement majeur du début du XXIe fut les attentats du 11 septembre 2001.
Comment avez-vous reçu ce nouvel épisode historique ?
- Vous avez récemment demandé l'accès à votre dossier auprès du service de renseignement britannique MI5, qui l'a
refusé. Pourquoi ?