Intérêt pédagogique
Cette séquence s'inscrit dans les objectifs du programme qui demandent de « faire percevoir la
rupture fondamentale représentée par cette période », d' « évoquer les grands repères chronologiques, les moments forts et les acteurs de cette période » et de « dégager
un bilan des bouleversements provoqués, en particulier dans les domaines politiques et sociaux ». Elle correspond également à certains axes proposés par les programmes, comme l'étude
des « forces sociales » qui mettent en œuvre les grands principes
révolutionnaires.
Une séquence centrée sur les journées des 4 et 5 septembre 1793
permet;
- de montrer concrètement comment fonctionne le processus révolutionnaire entre 1789 et
1794 et la radicalité de l'expérience révolutionnaire ;
- le rôle de forces politiques et
sociales qui constitueront des héritages fondamentaux pour la période 1815-1848;
- la concurrence
de plusieurs légitimités, c'est-à-dire de plusieurs conceptions de la souveraineté et de la république comme régime.
Présentation historiographique
Comparativement aux autres grandes journées révolutionnaires, les journées parisiennes des 4 et 5 septembre 1793 occupent une place réduite dans
l'historiographique. Pourtant elles sont une étape décisive dans la mise en place de la Terreur. Mathiez intitule le chapitre consacré à ces deux journées "l'inauguration de la Terreur".
Trois principales interprétations en sont données.
1. Mathiez les situe dans le cadre d'une
offensive de l'avant-garde révolutionnaire "hébertiste". [A. Mathiez, 1973, p. 306-328 ; A. Mathiez,1985, p. 54-61.].
« Il n'est pas besoin de longs développements pour faire sentir l'importance et la signification de ces deux journées des 4 et 5 septembre 1793. Elles
furent d'abord une sorte de revanche des sections contre la Commune et contre la Convention, qui avait prononcé, le 25 août, la dissolution de leur commission d'enquête sur les subsistances." [A.
Mathiez, 1973, p. 327]
2. De sont côté, Soboul considère qu'elles sont l'expression du mouvement populaire, urbain, celui des sans-culottes [A. Soboul, 1973, p.
107-129 ; A. Soboul, 1981, p. 312-316]. Selon Soboul, « l'origine ouvrière du mouvement est incontestable : il sortit des couches les plus prolétarisées de la
sans-culotterie » [A. Soboul, 1973, p. 120]. Ces deux journées sont interprétées dans le cadre des relations complexes entre le mouvement sans-culotte parisien et le
gouvernement.
« Les journées des 4 et 5 septembre constituent une victoire populaire : les sans culottes ne sont imposés par leur
manifestation aux autorités municipales et gouvernementales ; ils les ont contraintes à certains décisions depuis longtemps réclamées. Victoire incomplète cependant. Les mesures adoptées le
5 septembre par la Convention sont surtout politiques : elle s'est contentée de promettre, le 4, l'établissement du maximum général, qui constituait la revendication populaire essentielle.
Les concessions politiques permettraient de résister plus longtemps sur le plan économique. Le maximum national des grains et farine sera décrété le 11 septembre ; la loi du maximum généra
n'interviendra que le 29 : tant la bourgeoisie, même montagnarde, répugnait à porter atteinte à la liberté économique, dans laquelle les sans-culottes voyaient l'origine de tous leurs
maux.
Victoire populaire, mais aussi succès gouvernemental. Les sans-culottes n'ont pas eu besoin de recourir à la violence, comme au 2 juin, pour faire céder la Convention : la légalité a été
sauvegardée. La terrer légale l'emporte sur l'action directe prônée par les feuilles extrémistes. Le Comité de salut public a résiste ; il a su céder à temps et sur un terrain choisir par
lui : son autorité en sort grandie, un pas de plus a été fait vers le renforcement du Gouvernement révolutionnaire. » [A. Soboul, 1973, p.
128].
Ces deux approches classiques opposent le mouvement populaire démocratique et
le pouvoir gouvernemental, le premier faisant pression sur le second.
3. Diane Ladjouzi propose une autre approche qui nuance l'opposition entre mouvement populaire démocratique et pouvoir politique. Les journées
parisiennes des 4 et 5 septembre 1793 trouvent leur origine dans la législation agraire, œuvre conjointe de la Commune de Paris et de la Convention. Le mouvement authentiquement populaire
qui se développe le 4 septembre autour de la question des subsistances est validé par la Commune de Paris, le Club des jacobins et la Convention qui en partagent les objectifs. Au-delà de la
question du prix du pain et du contrôle de la circulation des farines, ces acteurs ont également un objectif politique commun, la mise en œuvre d'un exécutif révolutionnaire, c'est-à-dire un
pouvoir exécutif subordonné au pouvoir législatif.
Document 1 : la séance du 4 septembre à la Commune de Paris selon un journal jacobin
« A deux heures et demie de l'après-midi, environ deux mille citoyens, manœuvres et autres ouvriers des deux sexes, se sont présentés devant la maison commune.
Ils y venaient, ont-ils dit, pressés par la famine, plusieurs d'entre eux n'ayant pu se procurer du pain chez les boulangers.
Le Conseil général de la commune a été convoqué à l'instant, et la séance a commencé à quatre heures.
Plusieurs députations des ouvriers des divers quartiers et faubourgs de Paris ont été admises. Toutes avaient pour objet de représenter la pénurie des subsistances,
et de solliciter les moyens les plus prompts pour la faire cesser.
La salle des séances était pleine, et le peuple se trouvant mêlé avec ses magistrats, à délibérer avec eux.
La séance a été très orageuse : Pache occupait le fauteuil. On lui a fait, à plusieurs reprises, l'interpellation précise de déclarer s‘il y avait des farines
oui ou non.
Le citoyen Pache a donné des explications sur la loi qui établissait le maximum des grains, qui n'avait pas été exécutée dans la plupart des départements ;
c'est à l'inexécution de cette loi qu'il a attribué la pénurie que nous éprouvons. Il a dit qu'au moyen des farines qui étaient en arrivage et à même d'être débarquées, l'administration des
subsistances allait prendre toutes les mesures propres à fournir sur le champ la halle de la quantité de farine qui pouvait être nécessaire à l'approvisionnement de
Paris.
Nous ne vous demandons pas, a dit l'orateur du peuple, si la loi du maximum a été
exécutée, y non, mais seulement que vous répondiez à cette question, y a-t-il du pain, oui ou non ?
Chaumette a pris la parole, et à dit :
« Et moi aussi j'ai été pauvre, et par conséquent je sais ce que sont les pauvres. C'est ici guerre ouverte des riches contre les pauvres ; ils veulent nous écraser ; eh
bien ! il faut les prévenir ; il faut les écraser nous-mêmes ; nous avons la force en main ... ! Les malheureux qu'ils sont ! Ils ont dévoré le fruit de nos
travaux ; ils ont mangé nos chemises, ils ont bu notre sueur... et ils voudraient encore s'abreuver de notre sang....
Qu'il soit formé à l'instant une armée révolutionnaire qui parcoure toutes les campagnes ; que chaque rayon de cette armée traîne à sa suite l'instrument
fatal de la vengeance du peuple, et que tous les accapareurs, tous les fermiers riches, qui se refuseraient de nous fournir des subsistances tombent sous ses coups ...
Hébert a succédé à Chaumette : que le peuple, a-t-il dit, se porte dès demain en masse à la Convention ; qu'il l'entoure comme il a fait au 10 août, au 2
septembre et au 31 mai, et qu'il n'abandonne pas ce poste, jusqu'à ce que la représentation nationale ait adopté les moyens qui sont proposés pour nous sauver ... Que l'armée révolutionnaire
parte à l'instant même où le décret aura été rendu ; mais surtout que la guillotine suive chaque rayon, chaque colonne de cette armée ...
Le conseil, sur les réquisitions de Chaumette, et Hébert, arrête qu'à l'instant même, l'administration des subsistances prendra des mesures promptes pour faire
porter des faines à la halle, en la plus grande quantité possible.
Que demain le Conseil général
se transportera accompagné du peuple à la Convention ; pour lui demander la formation d'une armée révolutionnaire qui sera destinée à se répandre dans tous les environs de Paris, pour y
visiter les greniers à blés des fermiers, et les forcer d'approvisionner les marchés ; et que cette armée, sera autorisée à conduire avec elle, une guillotine, pur la punition soudaine de
ceux qui se refuseront d'obéir.
Sur la proposition d'un membre du peuple, le conseil arrête que
les membres de l'ancienne et nouvelle administration des subsistances, seront mis en état d'arrestation, tant que durera le danger.
On agite la question de savoir, s‘ils seraient gardés par des gendarmes ou par des citoyens armés ? Il vaut mieux, dit
Chaumette, qu'ils soient gardés par des sans -culottes ; d'autres qu'eux pourraient se laisser corrompre ; mais des sans-culottes, j'en réponds sur ma tête, rien ne les corrompra, et
comme il n'est pas juste qu'ils passent du temps pour rien, je demande qu'il doit donné pour garde de chaque administrateur, et qu'ils perçoivent à titre d'indemnité 5 livres par
jour.
Le réquisitoire de Chaumette est encore adopté. Le Conseil arrête de plus, qu'il sera demandé à la Convention, l'établissement de 50 nouveaux
moulins sur la rivière. (...) »
Journal de la Montagne, n° 96, Du vendredi 4 septembre 1793, l'an deuxième de la République française, p. 663-664.
Document 2 : Chronologie
1792 |
10 août |
Les sans-culottes et les fédérés s'emparent des Tuileries. La famille royale se réfugie à l'Assemblée. Création d'une nouvelle assemblée : la Convention nationale. |
|
2-7 septembre |
Massacres de septembre. Les Parisiens massacrent les détenus des prisons. |
1793 |
27 mai- 2 juin |
Les sans-culottes, les députés de la Montagne et la Commune éliment les députés Girondins. |
|
27 août |
Toulon est livré aux Anglais |
|
5 septembre |
Manifestation des sans-culottes à la Convention |
|
9 septembre |
Création de l'Armée révolutionnaire |
|
11 septembre |
Maximum des grains |
|
17 septembre |
Loi des suspects |
|
29 septembre |
Maximum général des denrées et des salaires |
Document 3: Plan de Paris en 1793
Document 4 : Lexique et biographies
Pierre-Gaspard Chaumette (1763-1794), est un des dirigeants de la Commune de Paris. Il appartient au courant radical des hébertistes
Commune de Paris : nom donné au
gouvernement révolutionnaire de Paris établi après la prise de la Bastille. Après le 10 août 1792, elle devient commune insurrectionnelle après le 10 août 1792. Le Comité général de
la Commune de Paris dont les membres étaient élus par les citoyens des 48 sections de la ville de Paris.
Jacques-René
Hébert (1757-1794)
Il lance en 1790 Le père Duchesne, journal des
révolutionnaires radicaux. Il participe, en 1792, à la chute de la monarchie et, en juin 1793, à celle des Girondins. Avec ses partisans, les hébertistes, il est influent au club des
Cordeliers et au sein de la Commune de Paris.
Jean-Nicolas Pache (1746-1823). Maire de Paris depuis mai 1793. Il appartient au courant hébertiste.
Questionnement:
- Quelles est la cause de la manifestation ?
- Qui
sont les manifestants ?
- Où se rendent-ils ?
Pourquoi ?
- Quelles réponses le Maire (Pache) leur
donne-t-il ?
- Comment sont présentés les sans-culottes par les différents
orateurs ?
- Quelles sont les propositions faites par Hébert ? A quelles
dates se réfère-t-il ? En quoi est-une menace ?
- Quelles décisions sont
finalement prises ?
- Selon la chronologie, les manifestants obtiennent-ils satisfaction ?
Sources :
- Journal de la Montagne, n° 96, Du vendredi 4 septembre 1793, l'an deuxième
de la République française, p. 663-664.
- P.-J.-B. Buchez et P.-C. Roux, Histoire
parlementaire de la Révolution française, ou Journal des assemblées nationales depuis 1789 jusqu'en 1815, t. 29, Paulin, 1834, p. 26-55.
Bibliographie :
- Diane Ladjouzi, « Les journées des 4 et 5 septembre 1793 à Paris. Un mouvement d'union entre le peuple, la commune de Paris et la convention pour un
exécutif révolutionnaire », Annales historiques de la Révolution française, n° 321.
Jean-Clément Martin, Violence et révolution. Essai sur la naissance d’un mythe national, Seuil, L’Univers historique.
- Albert Mathiez, La vie chère et le mouvement social sous la Terreur, Le regard de l'histoire, Payot, 1973. [1ère éd. 1927]
- Albert Mathiez La Révolution française, Denoël, Bibliothèque Médiations, 1985, 248 pages [1ère édition,
Armand Colin, 1922].
- Albert Soboul, Mouvement populaire et gouvernement révolutionnaire en
l'An II (1793-1794), Flammarion, 1973. [1ère éd. 1958]
- Albert Soboul, La
Révolution française, Gallimard, Tel, 1981, 605 pages.
- Albert Soboul, Les
Sans-culottes parisiens en l'an II : Mouvement populaire et gouvernement révolutionnaire 1793-1794, Seuil, 1968, 256 pages.
- Michel Vovelle, La
Découverte de la politique. Géopolitique de la France, La Découverte, Textes à l'appui, 1992, 363 pages.
- L'émeute populaire du 5 septembre 1791 à Nantes - Etudes (Site Revolutionfrancaise.net), par Samuel Guicheteau, Cerhio-Université Rennes 2
Cette étude est développée dans l'ouvrage de Samuel Guicheteau : La Révolution des ouvriers nantais. Mutation économique, identité sociale et dynamique révolutionnaire (1740-1815), Rennes, PUR, 2008, ouvrage tiré d'une thèse soutenue à Rennes 2. L'auteur nous propose ici un extrait centré sur l'analyse d'un événement particulier : l'émeute du 5 septembre 1791 à Nantes. Il s'emploie à mettre en valeur les formes de la participation spécifiquement ouvrière à une émeute populaire dans le cadre révolutionnaire.